Le chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, a été interrogé mardi à Tunis par le pôle antiterroriste qui a décidé de le laisser en liberté, à quelques jours d'un référendum proposé par le président tunisien dont Ennahdha est la bête noire.
"Après une séance d'instruction qui a duré plus de 9 heures, et 19 plaidoiries (sur 100 demandées par les avocats, ndlr), le président de l'Assemblée du peuple (Parlement) Rached Ghannouchi a quitté le pôle judiciaire pour rejoindre son domicile", a indiqué son avocat et ancien responsable d'Ennahdha, Samir Dilou sur sa page Facebook.
M. Ghannouchi a été "laissé libre de ses mouvements" par le pôle antiterroriste, a indiqué M. Dilou. Un autre de ses avocats a précisé qu'il ne faisait pas l'objet de "mesures de contrôle judiciaire".
Ces derniers jours, les partisans de M. Ghannouchi craignaient qu'il ne soit arrêté à l'issue de son audition devant le juge.
Le président du Parlement --dissous fin mars par le président Kais Saied-- était entré vers 9H00 GMT au siège de ce pôle spécialisé sous les acclamations d'environ 150 militants de son parti, encadrés par une vingtaine de fourgons de sécurité.
"Stop Political Trials" ("Arrêtez les procès politiques"), pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants.
M. Ghannouchi, 81 ans, fait l'objet depuis le mois de juin d'une enquête pour des soupçons de corruption et blanchiment d'argent liés à des transferts depuis l'étranger vers l'Organisation caritative Namaa Tunisie, affiliée à Ennahdha.
Dans le cadre de la même enquête, la justice tunisienne avait fait interpeller puis avait relâché le mois dernier l'ancien Premier ministre et dirigeant d'Ennahdha, Hamadi Jebali, qui reste soupçonné de "blanchiment d'argent" et devra comparaître le 20 juillet devant le pôle judiciaire.
Début juillet, la justice a ordonné le gel des comptes bancaires de M. Ghannouchi et d'une dizaine de membres de sa famille et de son parti.
Rached Ghannouchi fait l'objet d'une deuxième enquête, celle sur l'assassinat de Chokri Belaïs et Mohamed Brahmi en 2013. Dans le cadre de cette enquête, il lui est interdit de quitter le territoire tunisien.
Ennahdha et M. Ghannouchi ont rejeté toutes les accusations à leur encontre.
La Tunisie traverse une profonde crise politique depuis le coup de force du président Saied le 25 juillet 2021 qui avait suspendu le Parlement dominé par Ennahdha et limogé le gouvernement, faisant vaciller la balbutiante démocratie dans le pays berceau du Printemps arabe.
M. Saied se trouve sous le feu d'intenses critiques de l'opposition pour l'avoir exclue d'un dialogue national sur une nouvelle Constitution qu'il prévoit de soumettre à référendum le 25 juillet.
L'opposition, notamment Ennahdha, ainsi que des organisations de défense des droits humains l'accusent de vouloir faire adopter un texte taillé sur mesure pour lui et d'utiliser les institutions étatiques et judiciaires pour régler ses comptes politiquement.
Le mot de Rached Ghannouchi avant de comparaître…
Devant un parterre de médias et à l’adresse de l’opinion publique et avant sa comparution devant le juge d’instruction près le Pôle judiciaire antiterroriste, le chef du mouvement islamiste Rached Ghannouchi a émis une déclaration en 13 points où il a évoqué plusieurs sujets dont l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, la démocratie, le «coup d’Etat» selon lui, et autres.
En premier lieu, il a exprimé sa confiance en la justice qui n’est pas une « fonction » comme le veut le Président mais un « pouvoir » dont le corps ne cesse de lutter pour son indépendance, face aux tentatives de son «asservissement » selon ses dires. « Depuis le 25 juillet (2021), on ne cesse de me harceler, de me diffamer, ainsi que ma famille, de me coller de fausses accusations, dans le but de faire passer le projet de Constitution… », a jouté Ghannouchi.
Puis, il a évoqué ses orientations et contributions politiques, pour un « Islam démocratique, luttant contre l’extrémisme, la violence, le terrorisme et l’exclusion et menant son mouvement avec les principes de la démocratie et de la modération, respectant les institutions de l’Etat et ses lois ».
« Et si la Tunisie a réussi son expérience démocratique, c’est en raison des larges sacrifices consentis par le Tunisien et le mouvement Ennahdha qui a de tout temps protégé et défendu la démocratie, même après le 25 juillet 2021… », a-t-il poursuivi.
Avouant que des erreurs ont été commises de la part de plusieurs parties, y compris Ennahdha, sur le plan économique particulièrement, Rached Ghannouchi a réfuté que ce fut une « décennie de ruine », comparant celle-ci avec les décennies précédentes et énumérant au passage les réalisations de cette époque sous le pouvoir d’Ennahdha.
Revenant sur les attaques qui ne cessent d’être portées contre son mouvement, Ghannouchi a estimé que ces coups-bas continuent avec des affaires sécuritaires et judiciaires sur fond de règlement de compte politique, comme c’est le cas de cette affaire, dira-t-il. Ce qui survient toujours à la veille d’un « rendez-vous » politique du genre de ce référendum, selon lui.
Ghannouchi reviendra aussi sur ses précédents jugements sous Bourguiba et Ben Ali, rappelant sa condamnation à mort, et les souffrances endurées par lui-même et par les militants de son mouvement, jusqu’à la « révolution » qui a libéré le pays, cherchant à le juger pour des délits de droits communs…
« Je ne crains pas pour ma personne de leurs actes, mais pour la Tunisie et ses acquis et pour les droits socio-politiques et économiques du citoyen, avec les discours de haine, de diabolisation, et combien ont-ils porté atteinte à moi-même et à ma famille… », a martelé le chef d’Ennahda.
« Je suis tranquille aujourd’hui et je ne crains rien, avec mon âge et mon passé politique et militant, ni pour Ennahdha tant qu’elle défend les causes nationales et les principes de la liberté et de la démocratie. Et pas d’avenir qui sied à la Tunisie sans respect de ces principes et celui de ses institutions, ainsi que le respect de la neutralité de l’administration, de l’armée et de la police, et l’indépendance de la justice » a enfin déclaré Ghannouchi.
Pour terminer avec des remerciements à l’adresse du comité de défense qui s’est chargé de son affaire et défendant tous les opprimés, selon lui, ainsi que le corps des journalistes qui continue à militer pour élever la conscience, divulguer la vérité et défendre la liberté d’expression.
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