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Non-lieu pour les soldats français accusés de viol et d’abus sexuels sur des mineurs en Centrafrique


Les viols en temps de guerre restent, dans leur immense majorité, impunis. C’est ce que révèle une enquête menée par neuf journalistes et publiée ce mercredi 4 octobre 2017 aux éditions Autrement. Ces journalistes ont enquêté sur ce sujet tabou qui fait pourtant frémir par son ampleur et par l’impunité totale dont bénéficient les agresseurs sexuels en uniforme. Entretien avec Justine Brabant, journaliste et co-directrice de l’ouvrage.

"L’opération « Sangaris », c’est cette opération de l’armée française déployée en décembre 2013 en Centrafrique, dans un contexte de violences extrêmes entre les combattants Seleka – qui ont organisé un coup d’état en mars 2013 ; et les anti-balaka qui, officiellement, se défendent contre les exactions de la Seleka. À ce moment là, des centaines de milliers de Centrafricains prennent la route de l’exil. Quand les militaires français arrivent, une partie de ces populations se réfugie près d’eux, autour de l’aéroport de Bangui, pensant y être en sécurité.

Le premier dossier pénal porte le nom de ce camp de fortune « M’Poko ». 41 enfants, âgés de 9 à 15 ans, se sont déclarés victimes d’agressions sexuelles et de viols de la part de militaires français ! Ils « échangeaient » des fellations contre des rations alimentaires. Le second dossier se réfère à « une centaine » de viols qui auraient été commis autour de Dékoa, une ville du centre du pays. Les soldats mis en cause sont essentiellement burundais et gabonais, mais les forces françaises sont aussi citées. Le troisième et dernier dossier examiné par la justice est le curieux « dossier Boda », pour lequel une enquête a été ouverte en septembre 2015 pour « viol commis par une personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions », sur la base du témoignage d’une jeune fille, Noella, qui a eu un enfant suite à des relations sexuelles avec un soldat français." Entretien avec Justine Brabant, journaliste et co-directrice de l’ouvrage.

En avril 2016, les Nations Unies ont révélé qu’en RCA 108 autres victimes, principalement des mineures, avaient dénoncé des violences sexuelles (faisant même participer des animaux) commises entre 2013 et 2015, vraisemblablement par des soldats des Nations Unies et des forces françaises.

Les faits se seraient produits entre décembre 2013 et juin 2014, à Bangui, la capitale de la République Centrafricaine. Dans un camp de réfugiés près de l'aéroport, où des milliers de personnes ont fui les combats. Au printemps 2014, l'ONU lance une enquête : des militaires français sont soupçonnés d'abus sexuel sur une dizaine d'enfants. Les faits sont tus, et l'ONU garde le silence sur l'affaire. Jusqu'à l'intervention d'une responsable humanitaire, qui a contacté le Guardian pour révéler le dossier au grand jour.

Les viols en temps de guerre

Selon des informations révélées par le quotidien britannique The Guardian, une quinzaine de soldats français sont mis en cause dans un rapport de l'ONU pour abus sexuels sur des mineurs en Centrafrique. Les faits se seraient déroulés lors de l'opération Sangaris, en 2014, visant à empêcher une guerre civile dans le pays.

Quels sont les faits reprochés aux soldats français ?

Selon des informations révélées, mercredi 29 avril 2015, par le quotidien britannique The Guardian, des forces armées internationales, dont des soldats français, sont accusés de viols et d’abus sexuels sur plusieurs mineurs centrafricains de moins de 15 ans. Les faits auraient été commis en 2014 durant l’opération Sangaris en Centrafrique, où l’armée française était intervenue pour empêcher une guerre civile. Ces informations proviennent d'un rapport confidentiel de l'ONU, communiqué au journal par l'ONG américaine Aids-Free World.

Le rapport accablant contient des témoignages recueillis par un agent du BINUCA (Bureau Intégré de l’Organisation des Nations Unis en Centrafrique), et par des membres de l’UNICEF. Une dizaine d’enfants, âgés de 8 à 15 ans, affirment qu’en échange de nourriture ou sous la menace, des soldats français ont abusé d’eux sexuellement. Certains disent avoir été violés ou abusés et d’autres assurent avoir assisté au viol de leurs camarades. Les faits auraient été commis « sur le site de l’aéroport de M’Poko, à Bangui, entre décembre 2013 et juin 2014 », où s’étaient réfugiés de nombreux civils fuyant les combats, selon le ministère français de la Défense.

Quelles sont les réactions en France ?

La France prend connaissance de ce rapport le 29 juillet 2014 lorsque Anders Kompass, cadre de l'ONU, le livre au ministère français de la Défense. Le jour-même de sa réception, le ministère saisit « le Parquet de Paris sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénal » qui a ouvert « une enquête préliminaire, toujours en cours ». Elle doit permettre de vérifier les faits par le biais d’auditions, et d'établir les responsabilités le cas échéant. Des membres de la gendarmerie prévôtale, qui assure la police judiciaire aux armées, sont partis dès août 2014 en Centrafrique pour mener leur enquête.

Neuf mois plus tard, les révélations faites par The Guardian, 29 avril 2015, entraînent de nombreuses réactions en France. Le ministère de la Défense a assuré qu’il prendrait « toutes les mesures nécessaires pour permettre la manifestation de la vérité. Si les faits étaient avérés, il veillera à ce que les sanctions les plus fermes soient prononcées à l’égard des responsables de ce qui serait une atteinte aux valeurs du soldat ».

Le président François Hollande n'a pas tardé à réagir en déclarant, jeudi 30 avril 2015, qu’il serait « implacable si certains militaires se sont mal comportés ». La secrétaire d’Etat française en charge de la Famille, Laurence Rossignol, s'est elle aussi exprimée : « On sait très bien que dans les opérations de guerre ou dans les pays en désordre, ce sont les femmes et les enfants qui sont les victimes des prédateurs. Cela veut dire que ceux qui sont là pour les protéger seraient eux-mêmes des prédateurs. D’un certain point de vue, c’est un double crime ».

Dans l’opposition, peu de réactions. Le député UMP Thierry Solère, invité sur la chaîne d'inormation française I-télé, s’est dit « consterné » par ces « faits très graves ». «Manifestement, le gouvernement était au courant depuis longtemps, assure-t-il, en demandant « la transparence ». Mais le ministère de la Défense l’affirme, il n’y a « pas de volonté de cacher quoi que ce soit ».

Par qui le scandale est arrivé ?

Ce serait donc Anders Kompass qui aurait livré le rapport confidentiel de l'ONU aux bureaux du ministère de la Défense français le 29 juillet 2014. C’est le quotidien anglais The Guardian qui divulgue son identité dans ses colonnes, citant des « sources proches de l’affaire ». Basé à Genève, Anders Kompass travaille depuis 30 ans aux Nations unies. Directeur d’opérations sur le terrain au Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU. Ce cadre suédois a été en possession d’une version "non-définitive" de ce rapport, dans laquelle figurait toujours les noms des victimes, des témoins et des enquêteurs. C’est ce que détaille dans un communiqué l'Organisation des Nations unies qui l’accusent, sans le nommer, d’avoir ainsi fait fuiter un document confidentiel de l’ONU et violé le protocole de l’organisation en le livrant aux autorités françaises « avant de le fournir au bureau du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU ». En le transmettant, Anders Kompass aurait ainsi voulu réagir face à l’inaction de l’ONU alors que l’organisation avait pourtant ouvert une enquête au printemps 2014.

Anders Kompass est-il donc un lanceur d’alerte ? Pas pour l’ONU, qui considère que son geste « ne constitue pas un lancement d’alerte. » Mais il dérange. Depuis le 17 avril, ce cadre de l’ONU a été suspendu de ses fonctions et fait l’objet d’une enquête interne. Par la voix de son ambassadeur aux Nations unies, la Suède a prévenu que de sévères tensions diplomatiques sont à attendre si leur ressortissant était poussé à la démission. « On ne sait pas quand (les hommes suspectés, ndlr) seront appréhendés, et surtout s'ils le seront. Malheureusement, les Nations Unies n'ont pas l'air de se préoccuper de ces questions-là. Leurs inquiétudes se portent sur cet homme qui a divulgué ce rapport accablant», regrette Paula Donovan, interviewée par Le Point. Elle est co-directrice du groupe américain Aids-Free World qui milite pour une commission d’enquête indépendante sur les abus sexuels perpétrés par des soldats de la paix. Dans cette interview, elle indique avoir reçu le rapport en ce mois d’avril et a décidé de le transmettre ensuite au journal anglais The Guardian.

Que peuvent craindre les soldats

L’enquête menée depuis le printemps 2014 par l’ONU sur ces allégations d’abus sexuels en Centrafrique, pouvait-elle aboutir ? « Chaque année, le secrétaire général (de l’ONU, ndlr) publie un document listant toutes les allégations d'abus sexuels (commis par les troupes onusiennes, ndlr). Il y a de nombreux cas, mais l'ONU ne fait rien, ou si peu. Cette situation dure depuis une vingtaine d'années », explique Paula Donovan d’Aide Free World à l’hebdomadaire français Le Point. Dans ces dernières révélations sur la Centrafrique, il s’agit bien de militaires français de la mission militaire Sangaris déployée en Centrafrique. Quel droit s’applique à eux, devant quelle juridiction peuvent-ils être traduits ? Plusieurs responsabilités pourraient être engagées dans cette affaire, si les faits sont avérés et selon les détails qui seront fournis par l’enquête en cours. La responsabilité de l’Etat français pourrait être engagée si ces militaires avaient commis des viols alors qu'ils portaient leurs uniformes et qu’ils étaient en mission militaire française. Mais ces actes de violence peuvent aussi relever de la responsabilité des Nations unies si ces militaires étaient en mission sous l’égide de l’ONU. Et enfin, si les soldats français ont commis ces viols quand ils n'étaient pas en service, c’est en tant que personnes qu’ils pourraient être jugés dans le pays théâtre des faits. Mais ce ne sont ici que des hypothèses. Avant ces accusations contre des soldats français Centrafrique, l’ONU a déjà été confrontée aux problèmes de violences sexuelles perpétrées par ses forces sur le terrain.

Des violeurs pédophiles dans l'armée française
Un non-lieu

Sans trancher sur le fond, la justice française a ordonné un non-lieu dans l'affaire des militaires français accusés de viols d'enfants en Centrafrique. La décision de clore le dossier, prise en réalité par les trois juges d'instruction en charge depuis mai 2015 de cette sulfureuse affaire, risque de laisser un goût d'inachevé. Et de continuer de nourrir l'ère du soupçon, puisque personne ne dit «qu'aucun abus sexuel n'a été commis». Mais que «des incohérences matérielles» et «la variation des témoignages» n'ont pas permis d'établir «des faits circonstanciés» à l'encontre des militaires suspectés. Ce sont du moins les éléments de langage repris par la presse, qui avaient filtré en mars lors des réquisitions du parquet, préconisant déjà un non-lieu, auquel les juges se sont donc eux aussi résolus.

«été entendus tardivement, dans des locaux officiels à Bangui, sans avocats ni psychologues. Ce qu'on aurait jamais autorisé pour des mineurs en France».

"Sur les trois dossiers concernant les accusations de viols sur enfant, il y a eu un non-lieu, un classement sans suite et un dossier dont on n’a pas de nouvelles. Il faut préciser que pour la première décision, les juges n’ont pas estimé que les faits ne s’étaient pas produits, mais qu’ils ne disposaient pas d’assez d’éléments pour identifier les auteurs." Justine Brabant.

L'enquête est confiée aux gendarmes nationale française de la prévôté. Un corps militaire chargé d'enquêter sur les délits commis par des militaires français à l'étranger.

«Je ne tiens pas à accabler la prévôté», note de son côté Me Daoud, qui regrette cependant que les enfants aient «été entendus tardivement, dans des locaux officiels à Bangui, sans avocats ni psychologues. Ce qu'on aurait jamais autorisé pour des mineurs en France». Et l'avocat de s'interroger : «Vous imaginez le stress de ces enfants entourés de Blancs et sommés de justifier leurs accusations ?»



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