«LES ORATEURS PUBLICS, KAN YA MAKAN, GALOU NASS ZMAN» … NOUS MANQUERAIENT-ILS? By K. Kaddouri©®
Je suis en questionnement perpétuel sur l’appropriation des espaces avec cette inlassable envie de m’interroger sur leurs impacts socio-économiques. Cette envie est largement relayée par une déformation professionnelle, essentielle certes, mais surement naïve à l’échelle de notre Histoire.
Le besoin de vouloir tout « étudier » nous fait oublier que l’espace est aussi un lieu où son empreinte passe aussi par une certaine marginalité d’occuper cet espace.
Et dernièrement, un Monsieur british, vêtu d’un haut de forme, avec le chic anglais, prenait la place de «Jemaa el-Fnaa» pour faire son show, son oratoire. Il est venu se présenter et raconter son histoire, comment il aime le Maroc, et l’effet escompté est sans aucun doute emprunté à nos référents conteurs de cette célèbre place. Nous écoutions sagement son message, son histoire, son récit «oral» :
Il raconte une love story anglaise & marocaine depuis longtemps en passant par Churchill et se présente en tant que « British ambassador » dans cette love story Maroc- Angleterre»… cf
Cet « étranger-touriste » me rappelle que tout orateur, a besoin de « communiquer scéniquement » dans un bain de foule, immensément plus vrai, que les réseaux abstraits et impersonnels !
Nos espaces libres de tout code, enfin avec tous nos codes ancestraux, sont à mon sens un brillant catalyseur des émancipations de l’esprit et du comment «mieux vivre ensemble».
Perdons-nous le sens du social et de l’intérêt du conte oral, de l’art d’écouter, car la nécessite de la transmission, et de la collecte des informations impalpables par l’esprit, passe aussi par la mémoire sensorielle, au travers du timbre des histoires qui nous sont contées.
L’espace public est, depuis toujours, un lieu où le sacré, le féerique, l’imaginaire, le privé semblent en négociation avec nos espaces de liberté. Ils ont quasi disparu, peut être reste-t-il notre «Jemaa el-Fnaa», détourné de son originalité, avec des choix orientés vers du tourisme international de complaisance.
Nos espaces publics, sont aujourd’hui des espaces clos, espace de conférence, espace professionnelle, espace culturel, mutualisé, programmé, autour d’une thématique définie, et prédéfinie, avec nos «semblables professionnels», nos «semblables sociaux ou sociétales», guidés le plus souvent par ce qui nous rassemblent éphémèrement, que, par ce besoin de rencontrer les autres, sans stratification aucune.
Il faut revaloriser ces traditions populaires, ces traditions orales, permettant à tous, de s’octroyer un rendez-vous, sur ces fameuses places, dans l’immense inconnu que réserve cet espace de vie publique où l’oratoire sublimé par l’imaginaire est au service du patrimoine immatériel, de la mémoire collective.
Ces espaces de vie nous permettrons de revivre, de s’égarer, ensemble, juste un instant, avec ces ténors du «Contes, du Récit oral» qu’il faut redynamiser, faire revivre, préserver, car ils sont aussi une des barrières au conditionnement culturel. (Un conditionnement que nos réseaux relayent dans une dimension «occulte, invisible, et trop souvent mensongère»).
Ne faut-il pas remettre la « place » au milieu du village, si tendrement prédestinée pour nos orateurs publics, cheminant le pays, les villes, les villages, du rural vers la ville, de la ville vers le village, pour conter et rapporter leurs périples immaculés avec un plaisir d’imaginaire insatiable.
Les «crieurs publics, les Hlaïqyas, conteurs des kan Ya makan ou Galou Nass Zman… » avaient une réelle vocation culturelle et sociale avec un «enlacement de la population» sans distinction.
Cet « espace de vie de rassemblement » est souvent définit comme trop populaire, avec malheureusement une connotation négative pour nos chers esprits étriqués de la «culture de la bien-pensante et de la volonté du select par l’image sociale» ;
Cette volonté de vouloir tout coordonner, tout requalifier par comparaison avec cet étrange «là-bas», a ainsi sclérosé la vie publique que nous esquissait nos sérieux et illustres conteurs des villages et des villes.
Nous ne pouvons faire de nouveau, une comparaison avec le «là-bas», quand les réalités de notre Histoire sont fortement empreintes de traditions orales. Ces traditions orales sont tel un vivier d’une symbolique cultuelle et culturelle, où se mélange le sacré et l’imaginaire, par lesquelles chacun peut reprendre ses instants de libertés et de réflexions intérieures.
Chacun de nous avait besoin de ces émotions, de ces instants de partage, pour se ressourcer, et pour se ressaisir dans ses propres rapports avec les autres.
C’était un moyen de prendre rendez-vous avec son inconsciente envie de côtoyer l’inconnu, l’imaginaire au travers de ces histoires contées, fréquemment par des savants de la rhétorique, des savants de l’oratoire, qu’ils manient avec aisance et subtilité.
Ces bains de foules étaient nécessaires pour chacun car les enseignements élaborés par nos conteurs d’histoires, n’étaient certainement pas anodins et néanmoins, le jeu du buzz était inexistant;
Nos touristes, et nous marocains, adorons le bain de foule à «Jemaa el-Fnaa », et partout ailleurs car cet « abreuvoir de foule humain » est le symbole même, que tout individu, et tous ensemble, sommes perpétuellement, à la recherche, toujours et encore, de ces bains de foule, comme on recherche le «bain de l’immensément désert », qui demeure indispensable à notre équilibre intérieur.
Les rendez-vous de nos conteurs semblent dorénavant interdits, bannis de nos sociétés, car il n’y a plus de place, ou plus la place pour les vocations sociales et culturelles essentielles de la transmission orale, dans ces espaces de vie culturelle publique.
On y trouvait, un espace public qui se confond, et qui se fond avec son espace intérieur privé, manifestement vital pour la survie de nos cultures dont les traditions orales sont des patrimoines en voie d’extinction, sabotées par nos ardeurs d’individualisme exacerbées par du faux politiquement socialement correct.
Un élan culturel est en phase de réapprentissage pour faire revivre le « conte et l’histoire sur la place publique »;
Est-il nécessaire que j’insiste sur le fait que l’espace public est la propriété de tous, sans castes aucunes et que c’est un lieu d’expression ouvert à tous;
Restaurons et redonnons à nos historiens, à nos conteurs de la mémoire, une place de vie dans nos villes et dans nos campagnes, sans pourtant que ces places deviennent le lieu de toutes les «orgies de la palabre malfaisante».
Écrivons et préservons notre Histoire, en requalifiant nos espaces de «lecture orale – de récit oral», par tous et pour tous. By Karima. Kaddouri©®
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