Invitée au Forum de la MAP, l'éminente historienne et directrice des Archives Royales, Bahija Simou, a mis en lumière les missions de cette direction chargée de la conservation des archives. Cette rencontre avec la presse a été également l'occasion d'apporter un éclairage nouveau sur la notion de Beïâ, dont la forme et la signification sont particulières au Maroc.
La Direction des Archives Royales (DAR) est devenue, sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, un lieu incontournable pour les chercheurs marocains et étrangers qui s'y rendent pour consulter ses trésors.
Directrice des Archives royales depuis 2008, Bahija Simou est membre de plusieurs commissions et fondations, comme le Comité scientifique de l’Alliance Internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit, la Commission marocaine d’histoire militaire et l’Association marocaine pour la recherche historique. Professeur universitaire d’histoire moderne, Mme Bahija Simou est l’auteur de plusieurs publications en langues arabe et français, et compte à son actif une série d’activités scientifiques ainsi que des contributions aux colloques internationaux.
Fidèle à sa devise «La Direction des Archives Royales au service du chercheur», cette institution a pour mission de collecter, conserver, classer, communiquer et désormais numériser les documents historiques, a expliqué Bahija Simou. «Ce travail est effectué dans le respect des normes archivistiques internationales qui facilitent tant la conservation des documents que le travail des chercheurs qui nous sollicitent», a-t-elle souligné.
Dans le domaine de la communication, fait savoir Bahija Simou, la DAR édite la série Al Wataïq, recueil périodique de documents historiques ainsi que des ouvrages thématiques : «La Beïâ, un pacte permanent entre le Roi et le peuple» (2011), «Le Sahara marocain à travers les Archives Royales» (2012), «Le Maroc et la France, une relation multiséculaire» (deux tomes publiés en 2015, complétés par un troisième en 2016 intitulé «Le Maroc et la France : le parcours vers l'indépendance, 1912-1956») et «L’Andalousie : histoire et civilisation» ( 2 tomes publiés en 2018). La DAR, ajoute sa directrice, s'est attelée à tisser des liens avec les universités marocaines et à associer les historiographes et les chercheurs pour que la Direction soit constamment au service de la recherche et de l'histoire.
La Beïâ improprement traduite par «allégeance»
Faisant un focus particulier l’ouvrage intitulé «La Beïâ, un pacte permanent entre le Roi et le peuple», l'historienne a ainsi tenu à souligner que cet ouvrage relate l'histoire de la Beïâ au Maroc, pilier constant des socles légaux et fondement de la consécration des Rois et Sultans au fil du temps. Cet ouvrage a le mérite, fait-elle remarquer, de rassembler les textes des Beïâs qui étaient éparpillés entre des bibliothèques privées, des mausolées chérifiens et certaines zaouïas. Aussi, cet ouvrage dresse au lecteur un tableau complet de l'institution de la Béïâ dans ses prolongements civilisationnels et sa continuité historique. Il procure également un contenu scientifique de premier ordre pour une bonne compréhension du système de la Beïâ, affirme Mme Simou.
«Même Abid Al Boukhari, quand ils ont eu à faire leur Beïâ au Sultan Moulay Ismaïl, ils l'ont subordonnée au fait qu'elle ne les engage pas dans des campagnes militaires pendant l'été, ce qui témoigne d’un degré élevé de démocratie», fait remarquer l’historienne, précisant que le mot Beïâ donc ne correspond pas à l'acception théocratique du terme «allégeance», qui, lui, renvoie à la soumission. «Il ressort de l'étude de ces textes que la Beïâ au Maroc repose sur des fondements légaux et lie le pouvoir à la stabilité, et que la Beïâ est une institution ayant pour fondement une contractualisation entre le Roi et le peuple», relève la directrice de la DAR.
Aussi, poursuit Bahija Simou, la Beïâ se fonde sur le principe de prise et de don, et sur le respect des conditions et des obligations. «C'est une formule traditionnelle de règne sans rapport aucun avec le terme auquel elle a été traduite, à savoir “allégeance”». «Ce mot (allégeance) vide la Beïâ de sa signification historique et légale et lui en confère une autre qui n'a aucun rapport avec la Beïâ dans notre pays», explique l’historienne. «Un vocabulaire est issu de l'environnement d'une société et y est lié. On peut très bien se résoudre à la translittération et écrire “Al Beïâ” au lieu de la convertir en un terme qui lui est étranger», préconise-t-elle. Aussi, souligne Mme Simou, «cet ouvrage est venu affirmer la particularité du système de règne au Maroc. La Beïâ, qui correspond à une pratique verbale dans le monde islamique, se singularise au Maroc par sa forme manuscrite».
Cet ouvrage, souligne encore la directrice de la DAR, met en lumière de nouvelles preuves de la marocanité du Sahara en soumettant aux lecteurs les textes des Beïâs des tribus du Sahara aux Sultans alaouites. «Il est également riche en matière scientifique de haut niveau qui profite au chercheur en sciences politiques, en histoire, en littérature et même aux journalistes. Les textes des Beïâs dont ils regorgent constituent également une matière attrayante pour ceux qui ont des goûts prononcés pour la calligraphie et la paléographie», ajoute-t-elle.
Les documents relatifs au Sahara marocain sont abondants
«Il n’y a pas que les documents historiques attestant de la souveraineté du Maroc sur ce qui est appelé entre guillemets «le Sahara occidental» mais aussi sur «le Sahara oriental»», a précisé la directrice des Archives Royales, Bahija Simou, lors de son passage au Forum de la MAP.
En réponse aux questions des journalistes sur la disponibilité des documents confirmant la marocanité du Sahara, Bahija Simou a indiqué que ces derniers sont bien disponibles, voire abondants. «Et quand je dis Sahara, je parle à la fois du Sahara occidental et du Sahara oriental», précise-t-elle. «Ces documents sont disponibles et accessibles à qui veut les consulter. Et ces documents prouvant la marocanité du Sahara ne se limitent pas aux seuls correspondances et dahirs, mais il y a aussi des cartes qui montrent l'évolution des frontières, des conventions et traités et des lettres datant de l'époque médiévale à nos jours», souligne la directrice de la DAR.
Par ailleurs, elle a annoncé que la DAR allait bientôt lancer un portail électronique visant à faciliter aux citoyens en général et aux académiciens en particulier l'accès aux documents historiques. «Le lancement de ce portail intervient conformément aux Hautes Directives de Sa Majesté le Roi et cadre avec la profonde conviction du Souverain que l'histoire est la clé pour comprendre le présent et se projeter dans l'avenir, mais aussi le moyen de rapprocher les nations et de protéger les générations de toute dérive», a-t-elle soutenu.
Les jeunes chercheurs appelés à s'intéresser à des disciplines telles que la sigillographie
Notant lors de sa présentation de la DAR que le document ne se limite pas aux archives écrites, Bahija Simou a lancé un appel aux jeunes chercheurs pour qu'ils s'engagent dans d'autres pans de l'étude de l'histoire, à travers l'étude des documents, dont les sceaux par exemple. «La sigillographie est très importante et mérite qu'on s'y consacre. Le sceau du Sultan Moulay Ismaïl, par exemple, n'est pas celui du Sultan Moulay El Hassan. Ils diffèrent par la forme et la calligraphie employée. Ce sont des symboles à part entière qui méritent d'être étudiés», a-t-elle souligné.
De même, l'historienne note que nul ne s'est encore intéressé à l'étude des peintures en rapport avec l'Institution Royale. «Delacroix nous a laissé un chef-d'œuvre. Aucun historien à ce jour n'a examiné les symboles dans cette peinture de Delacroix», a-t-elle fait observer. «Nos jeunes savent-ils que le chapelet qui pend au bras du Sultan dans le tableau de Delacroix renvoie au soufisme ?» se demande la directrice des Archives Royales, précisant qu'il s'agit là bien d’un tableau, mais en même temps d'un document historique. «Qui s'intéresse aux drapeaux ? Il a été écrit à tort que le drapeau marocain a été conçu par Lyautey. C'est tout simplement faux !» «Lyautey s’adressait au Sultan en disant : «je suis votre premier serviteur Sire» et le drapeau marocain a une histoire qui remonte aux Idrissides», souligne la directrice de la DAR.
Mme Simou a révélé que la direction des Archives Royales s'est procurée des documents sur le Sahara (occidental et oriental) de pays européens. Des propos qui devraient soulever l'ire au voisin de l'Est, d'autant qu'ils portent la signature d'une partie officielle au royaume.
Pour rappel, la France avait occupé la région de Tindouf en 1934. Dans un premier temps, la zone fut placée sous la tutelle du commandement français du Maroc, puis ensuite sous l’autorité du gouverneur général de l’Algérie. Cette occupation n’a jamais signifié que la marocanité de la province était remise en question.
En témoigne, la lettre adressée en 1960 par le président français Charles Gaulle au roi Mohammed V pour l’informer d’un nouveau essai nucléaire au Sahara oriental. «Les relations amicales que je suis heureux d’entretenir avec Votre Majesté me déterminent à l’informer personnellement de la décision que j’ai prise de faire procéder à partir du 31 mars à une nouvelle expérience nucléaire au Sahara», écrit-il dans sa missive. Auparavant, Mohammed V avait protesté auprès de De Gaulle au lendemain du premier essai dans la même zone.
Une souveraineté que le vice-président du gouvernement algérien formé alors par le Front de Libération National (FLN) Ahmed Ben Bella, avait reconnue. «L’explosion de Reggane a eu lieu. Le Maroc a protesté auprès de la France parce que l’explosion a eu lieu sur ses territoires. Ils nous ont demandé de nous associer à leur protestation contre la France», avait-il précisé dans des déclarations à la presse. Ce n’est qu’une fois investi président de la république indépendante (1963-1965) que Ben Bella a révisé sa position réclamant «à la France la fin des essais nucléaires en Algérie».
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