Le « gouvernement » algérien exige « la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France, … la même exigence des familles et des proches des disparus de la décennie noire en Algérie
Le gouvernement algérien a de nouveau réclamé lundi « la reconnaissance des crimes coloniaux » de la France, par la voix de son porte-parole Ammar Belhimer, après la publication du rapport de l’historien français Benjamin Stora sur la réconciliation mémorielle entre les deux pays. « La résistance de la France à ne pas reconnaître ses crimes a ses raisons. Elles sont connues de ceux qui ont la nostalgie du passé colonial et l’illusion de l’Algérie française », explique Ammar Belhimer dans un entretien au journal gouvernemental arabophone El Massa.
« Le criminel fait généralement l’impossible pour éviter d’admettre ses crimes, mais cette politique de fuite en avant ne peut pas durer »
Première prise de parole officielle
Ammar Belhimer salue la remise par Paris des restes de 24 résistants algériens tués au début de la colonisation française au XIXe siècle, en juillet dernier, mais il estime que « l’accomplissement moral le plus important est la reconnaissance des crimes coloniaux de la France ». Le porte-parole du gouvernement algérien s’abstient de citer nommément le rapport Stora mais il répond à une question sur le dossier de la mémoire entre les deux rives de la Méditerranée.
En réponse à Ammar Belhimer « l’accomplissement moral le plus important est de répondre aux questions des familles et des proches des disparus de la décennie noire: où est mon fils (mari, frère…) ? Fait-il partie des corps qu’on trouve à chaque fois qu’un charnier est découvert ? Qui l’a enlevé ? Comment est-il mort ? »
Les “disparitions forcées” de la décennie noire en Algérie
Pendant la décennie noire des années 90 la pratique des enlèvements a fait partie des méthodes de guerre, comme cela avait été le cas pendant la guerre d’indépendance : environ 8000 personnes ont été officiellement portées « définitivement disparues » par l’État algérien. Un chiffre largement sous-estimé selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) et d’autres ONG qui évaluent à 18.000 le nombre de disparus. Il y a peu de doutes que la quasi totalité de ces disparus sont en fait morts et gisent dans des charniers creusés à travers tout le pays. Depuis 1998, tous les mercredis, quelques dizaines de femmes algériennes se rassemblent devant le siège de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) à Alger, avec les photos de leurs disparus à bout de bras. La CNCPPDH est la commission dont l’État s’est doté en espérant convaincre le peuple algérien et les organismes internationaux que la question des droits de l’homme est au cœur de sa politique. Celles qu’on appelle les mères de disparus demandent à l’État de répondre à leurs questions :
où est mon fils (mari, frère…) ?
Fait-il partie des corps qu’on trouve à chaque fois qu’un charnier est découvert ?
Qui l’a enlevé ?
Comment est-il mort ?
Pour toute réponse elles ont droit aux barrages de policiers ou aux dispersions violentes de leur rassemblement comme ce fut le cas en aout 2010. Elles ont droit aussi aux déclarations à la presse de Farouk Ksentini, le président de la CNCPPDH installé par Bouteflika. Selon Ksentini « la plupart de ces disparus ont pris le maquis, ce sont des terroristes » ; le même accuse les familles de vouloir ressortir d’anciens dossiers qui peuvent nuire à la « notoriété de l’État algérien ».
« Je demande juste les os de mon fils » : le combat des mères algériennes pour obtenir la vérité sur leurs enfants disparus.
Durant les années 1990 en Algérie, période communément appelée « la décennie noire », plusieurs violences commises par les agents des services de sécurité de l’État aboutissent à des disparitions forcées. Les familles et les proches des victimes vont d’emblée former des associations et se mobiliser afin de réclamer à l’État algérien des informations, constituer les dossiers individuels des disparus, puis vont se tourner vers les institutions internationales. Limités par la loi de 2012 sur les associations, les familles et les proches dont les actions, les rassemblements et les rituels de deuil sont bien souvent prohibés.
Une Charte qui a tenté d’acheter le silence des familles de disparus
Le 29 septembre 2005, la Charte dite « pour la paix et la réconciliation nationale » a été instituée pour tenter de tourner une page très embarrassante pour l’Etat algérien.
Durant la guerre des années 1990, plusieurs milliers de personnes ont été victimes de disparitions forcées perpétrées par les agents de l’Etat. La Charte a été adoptée et imposée aux Algériens et Algériennes sans aucun débat sur son contenu. La Charte a nié aux familles de disparus leur droit à connaître la vérité et à obtenir justice, notamment en amnistiant tous les responsables de crimes commis durant cette période.Cette Charte dont les dispositions sont contraires aux droits de l’Homme,et prône l’impunité,a entériné une paix de facto basée sur une absence totale de véritable réconciliation, de justice et de vérité.
Elle empêche les familles de victimes de déposer plainte et de poursuivre des procédures judiciaires à l’encontre d’agents de l’Etat pour des crimes commis pendant les années 1990, de par son art. 45.
La Charte oblige les victimes à déclarer leurs proches disparus décédés sans qu’aucune enquête ne soit menée, afin de toucher une indemnisation qui ne viendra jamais réparer le préjudice subi. Les familles et amis de disparu-e-s vivent dans un espoir latent que leurs proches franchiront un jour de nouveau le seuil de la maison et sont dans l’incapacité total de faire leur deuil.
Cette Charte – recouvrant la décennie noire d’une chape de plomb supplémentaire – fait la démonstration d’un Etat algérien responsable des disparitions forcées mais qui refuse de le reconnaître. Malgré cela, le CFDA et Sos Disparus continueront de se battre inlassablement contre ces mesures et pour enfin obtenir justice et vérité.
Les hauts responsables algériens doivent entendre, que derrière ces revendications, il y a des mères, des pères, des sœurs, des frères, des conjoints qui subissent la perte d’un être aimé et que cette injustice ne doit pas être une fatalité.
Le CFDA et Sos Disparus appellent à faire table rase de cette indécente impunité et à ouvrir les archives, lancer des enquêtes et rendre justice à tous les disparu-e-s et à leurs familles, afin de refaire une société de façon saine, après cet épisode traumatisant de la guerre civile.
Les Disparitions Forcées en Algérie: un crime contre l’humanité
D’après le droit international des droits de l’Homme et le droit international pénal, la pratique des disparitions forcées est qualifiée de crime contre l’humanité lorsqu’elles ont eu lieu dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique à l’encontre d’une population civile en application d’une politique ayant pour but une telle attaque [Article 7 du Statut de Rome et l’article 5 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.].
Le rapport « Les disparitions forcées en Algérie : un crime contre l’humanité » démontre que les circonstances dans lesquelles les disparitions forcées ont été perpétrées dans les années 1990 réunissent les critères conduisant à la qualification de crime contre l’humanité annoncées à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. En Algérie, la pratique de la disparition a visé des catégories de la population susceptibles aux yeux des services de sécurité d’entretenir des liens avec la mouvance islamiste et/ou de délivrer des informations sur les activités des groupes armés. De même, ces disparitions se sont déroulées dans la grande majorité du pays, seules les 5 grandes wilayas du Sud n’ont pas été touchées.
La qualification de crime contre l’humanité entraîne différents conséquences, comme l’imprescriptibilité, l’interdiction des amnisties et la reconnaissance des droits des victimes à des réparations pleines et entières. De ce fait, les auteurs de disparitions forcées ne peuvent bénéficier d’aucune sorte d’amnistie, ni même de grâce, si elles empêchent la justice de déterminer la culpabilité ou l’innocence des auteurs présumés, comme c’est actuellement le cas des dispositions de l’ordonnance 06-01 portant sur l’application de la Charte. L’Etat doit également réparer intégralement et de manière adéquate les préjudices des victimes de disparitions forcées et de leurs proches. De nos jours, cette indemnisation en Algérie est conditionnée à la délivrance d’un jugement de décès du disparu, ce qui ne satisfait pas les critères posés.
L’enjeu principal auquel renvoie la question de la réelle nature du crime que constituent les disparitions forcées en Algérie est celui de la lutte contre l’imputé. Aujourd’hui à la lumière de ce rapport, le CFDA demande aux autorités algériennes:
D’accomplir son obligation de mener des enquêtes immédiates, exhaustives et impartiales sur chaque cas de disparition.
De rechercher, poursuivre et sanctionner les auteurs de disparitions forcées.
De mettre en œuvre des réparations intégrales et de manière adéquate pour les préjudices des victimes des disparitions forcées et de leurs proches.
D’adopter des garanties de non répétition de crimes.
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