L’Algérie a-t-elle eu son indépendance?: Entretien avec Madame Abane Ramdane:“Ben Bella a été fabriqué par les Français”
l’Algérie et la construction délibérée d’un faux: De l’histoire falsifiée à l’histoire crédible
Dans un récent entretien, l’ancien Président Ahmed Ben Bella s’est violemment attaqué à Abane Ramdane et au Congrès de La Soummam qualifié de “trahison”. Dans cet entretien exclusif, Madame Abane, épouse du colonel Dehilès, répond aux accusations et rétablit certaines vérités.
Liberté : Pourquoi, à votre avis, Ben Bella dénigre le Congrès de La Soummam ?
Madame Abane : Il était hostile au fait que le Congrès se tienne en Algérie. Le congrès s’est tenu sans lui et sans les chefs qui étaient à l’étranger. Ils ne sont pas intervenus dans son élaboration.
Que s’est-il réellement passé avec l’attaque de la poste d’Oran ?
Ben Bella était chef de l’OS (l’Organisation spéciale) avant qu’il ne soit remplacé par Aït Ahmed. L’attaque avait été mijotée par Aït Ahmed, Saïd Ouali et Omar “yeux bleus” (Omar Boudaoud), pas plus. Ils n’ont pas mis Ben Bella au courant parce qu’ils avaient peur qu’il les dénonce. Aït Ahmed a réservé une chambre à Alger pour Ben Bella et c’est là que deux policiers sont venus le cueillir le lendemain. Ben Bella ouvre la porte, prend son arme et retourne le canon sur sa poitrine et leur présente la crosse en leur disant : “Tenez, je n’ai rien à voir dans ces histoires.” Les deux policiers ont pris l’arme en laissant Ben Bella sur place. Ben Bella était à Alger pendant l’attaque de la poste d’Oran. Il se vante d’avoir fait le coup. Naturellement, ce sont les Français qui lui ont fait cette propagande pour lui donner un nom. C’est à partir de là que les Français ont préparé un président pour l’Algérie.
Vous voulez dire que ce sont les Français qui ont fabriqué Ben Bella ?
Les Français réfléchissent et projettent. Ils se sont dit qu’en cas d’indépendance de l’Algérie, on leur place un âne bâté à la présidence. Après l’arraisonnement de l’avion en 1956, les cinq dirigeants du FLN ont été amenés à Alger. Sur le bitume de l’aéroport, Mohamed Boudiaf tenait un porte-documents entre les mains. Un gendarme s’est avancé vers lui, le lui a pris des mains pour le remettre à Ahmed Ben Bella. À ce moment-là, un flash a crépité pour immortaliser l’instant.
Pour quelle raison ?
Pour faire croire que c’est Ben Bella le premier dirigeant. Cette anecdote m’a été racontée par Boudiaf lui-même. Il avait compris que la France voulait donner un chef à la Révolution algérienne, le plus bête des chefs. C’est la dernière farce que la France nous a faite. Ben Bella était un grand inconnu en 1954.
Vous aviez travaillé avec Abane avant de devenir sa femme, quel homme il était ?
Un homme extraordinaire, pas bavard mais très actif. Il a mûrement réfléchi pour tisser sa toile et former son organisation. Il a pensé la Révolution algérienne pendant les cinq années qu’il avait passées en prison. Il a pris le temps, contrairement à certains qui s’abêtissent dans les prisons, d’étudier toutes les révolutions du monde. Il savait qu’il fallait regrouper les partis et après l’indépendance, à chacun de reprendre son chemin. Ce qui n’a pas plu à Ben Bella et Khider, c’est que Abane a fait appel à des centralistes. Ils avaient une formation politique. C’était une grande aventure cette Révolution.
Quel est le rôle de Abane dans la préparation du Congrès de La Soummam?
Larbi Ben M’hidi et Abane Ramdane
Ce qui m’étonne c’est le fait que ce soit toujours Abane qui est la cible des attaques alors qu’il y avait une direction collégiale. Il y avait Ben Khedda, Saâd Dahleb, Amar Ouzeggane. Les décideurs étaient Abane et Ben M’hidi qui étaient deux jumeaux. Il n’y avait aucune entente entre Larbi Ben M’hidi et Ben Bella. Maintenant si on reproche des choses à Abane, il faut alors faire également des reproches à Ben M’hidi. Abane Ramdane ne travaillait jamais seul.
Ont-ils essayé de convaincre Ben Bella de venir assister au congrès ?
Ils se sont habitués aux artères du Caire. Ils ont allumé un brasier en Algérie après ils se sont enfuis à l’étranger. Comment Ben Bella s’évade de la prison de Blida avec Mahsas et ne peut rejoindre les maquis d’Algérie ? Les maquisards sont allés d’Est en Ouest quand il fallait le faire.
Au moment du Congrès, vous étiez déjà son épouse. Étiez-vous présente ?
Non, mais j’ai tapé la plate-forme de La Soummam sur une machine dactylographique.
Qui avait rédigé le manuscrit ?
Plusieurs personnes. Chacun avait écrit sa partie. Ben Khedda me ramenait les manuscrits que je dactylographiais dans une chambre exiguë à Alger. J’étais hermétiquement enfermée en plein mois d’août pour ne pas éveiller les soupçons des voisins français.
Que vous inspire les propos de Ben Bella lorsqu’il affirme que le Congrès de La Soummam est une trahison ?
Ben Bella ne voulait ni des centralistes ni des unionistes. Il voulait la révolution strictement avec le PPA/MTLD. Il ne voulait pas que les autres tendances y participent. Ben Bella appelait les centralistes et les unionistes la racaille. Les propos de Ben Bella sont une aberration. La plate-forme de La Soummam est la première Constitution de l’Algérie. Ben Bella a de l’aigreur parce que le congrès s’est fait sans lui. S’il avait voulu, il aurait pu rentrer.
Vous aviez un jour rencontré Ben Bella. Vous aviez l’occasion de lui dire les choses en face…
Je l’ai rencontré en 1995 à sa demande pour s’innocenter. Je lui ai dit qu’il avait donné son accord pour l’assassinat de Abane Ramdane. Il y a une lettre qui existe dans laquelle Ben Bella cautionne cette mort. Dans la lettre, il félicite ceux qui ont fait le bon nettoyage de la Révolution. Évidemment, Ben Bella a tout nié. Il a dit que ce sont des mensonges. Mais je ne voudrais pas le rencontrer tout comme Ali Kafi, ce ne sont pas des gens intéressants.
Officiellement, Abane Ramdane est mort au champ d’honneur. Ce qui est faux. Il a été assassiné, comment et par qui ?
Tout le monde sait qu’il a été exécuté au Maroc. Ferhat Abbas, Boumendjel et Ben Khedda l’avaient prévenu en lui disant : “Ils vont te faire un mauvais coup.” Quand ils ont décidé de le liquider, ils l’ont appelé au Maroc. Il était accompagné de loin par Krim Belkacem et Mahmoud Cherif. D’après les différents témoignages, Boussouf les a mis devant le fait accompli. Il leur a expliqué qu’il ne pouvait pas mettre Abane en prison parce que c’était dangereux. Il valait mieux l’exécuter. D’après certains témoignages, Abdelhafid Boussouf a étranglé Abane Ramdane de ses propres mains. Ce qui est paradoxal c’est qu’un jour, au retour du congrès de La Soummam, Abane était tout heureux que le congrès se soit passé sans aucun incident. Abane m’a sorti une photo de Abelhafid Boussouf, responsable de la wilaya V en me disant : “Regarde cet homme comme il est vaillant.” Abane était content de travailler avec des hommes comme Boussouf.
Il ne savait pas qu’il tenait entre les mains la photo de son futur assassin…
C’est son bourreau. Les trois B, Ben Tobbal, Belkacem et Boussouf ont décidé de son élimination. Soit la prison, soit la mort. Boussouf était franc, il savait qu’il allait le tuer. Les autres faisaient semblant de ne pas le savoir. Ils souffraient d’un grand complexe d’infériorité par rapport à Abane.
Vous disiez que Ahmed Ben Bella avait donné sa caution à cet assassinat.
Ils avaient averti Ben Bella, l’ennemi de Abane Ramdane. Ben Bella avait donné carte blanche. Sa lettre existe dans les archives algériennes.
Est-ce que ça ne vous gêne pas que la version officielle n’évoque pas la vérité sur la mort de Abane ?
Dans toutes les révolutions, il y a des meurtres et des assassinats. Je ne veux pas soulever le problème de Abane.
Ne voulez-vous pas qu’on rétablisse la vérité ?
Ce n’est pas à moi de le faire mais aux officiels. C’est aux autorités de faire le procès de cette affaire et de désigner les vrais coupables. Du temps de Boumediene, on n’osait jamais parler de Abane. Ce n’est qu’à la venue de Chadli que l’on a pu voir pour la première fois des portraits de Abane.
Qu’est-ce que ça vous fait qu’un Président algérien insulte la mémoire de Abane ?
Ben Bella est un âne bâté. C’est lui qui a fait rater l’indépendance à l’Algérie. Il a bafoué la légalité en destituant Benyoucef Benkhedda, désigné par l’organe suprême du CNRA. Ben Bella était un joujou entre les mains de Nasser alors que Abane disait, nous ne serons inféodés ni au Caire, ni à Moscou, ni à Washington, ni à Londres. En plus, je ne vois pas ce qui lui a fait dire que je suis française alors que je suis algérienne en revanche, lui, sa femme est binationale. La femme de Ben Bella avait essayé de faire évader Fatiha Boudiaf d’une clinique psychiatrique dans laquelle le Président l’avait jetée, seule parmi les hommes pour l’humilier, après avoir déporté dans le Sud Mohamed Boudiaf.
L’histoire continue: Ce n’est pas en falsifiant l’histoire qu’on trouvera la paix
«Istiqlal» (indépendance) ou bien «jaybine lhouriya» (on aura la liberté), ces surprenants slogans, répétés tous les mardis et vendredis, par des centaines de milliers de personnes à Alger, dans un pays, qui a obtenu son « indépendance » en 1962, montrent le gouffre qui sépare le peuple d’un régime qui détient par la force le pouvoir. «Istiqlal» ou «houriya» témoignent de l’état dans lequel vit le peuple algérien: une occupation par un régime illégitime.
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