Le 9 août, environ 22 millions de Kényans sont attendus aux urnes pour élire leur futur président. Mais le scrutin à venir est relégué au second plan par des préoccupations sociales alors que l’inflation dans le pays a atteint 7,9 %. Outre le conflit en Ukraine, la sécheresse dans la corne de l’Afrique a entraîné une pénurie des denrées alimentaires au Kenya.
"Beaucoup de gens sont mécontents de l'état actuel de notre politique. Beaucoup de Kényans sont préoccupés par la situation économique, le coût de la vie et d'autres choses, à leur avis, beaucoup plus importantes qui se déroulent dans leur propre vie au jour le jour, donc je ne pense pas qu'il y ait un seul facteur unique qui conduit à l'apathie des électeurs, mais peut-être une tempête parfaite, vous savez, une combinaison de facteurs qui crée un certain nombre de difficultés que les populations tentent de surmonter.", a déclaré Tom Mboya, consultant en gouvernance.
Le prix de la farine de maïs est passé de 1,5 dollar à 2 dollars, soit une augmentation de plus 30 %, alors que les prix du gaz et du pétrole ne seront bientôt plus à la portée de toutes les bourses.
''Si vous avez faim, comment pouvez-vous vous rendre au centre de vote ? Si nous n'avons pas les moyens de nous nourrir, beaucoup d'entre nous ne pourrons pas aller voter. Beaucoup de gens vont juste dormir chez eux parce que nous n'aurons pas l'énergie pour marcher ou sortir de nos maisons pour aller nous tenir dans les longues files d'attente des bureaux de vote où les gens se bousculeront, nous n'aurons pas la force pour cela.", Beatrice Atieno 68 ans, mère de deux enfants et grand-mère de 12 enfants
Lutte contre la corruption, allocations aux familles vulnérables, les candidats multiplient des promesses pour convaincre les électeurs. Mais le malaise semble profond. Selon la commission électorale, les inscriptions des électeurs de moins de 35 ans par exemple sont en baisse.
"Le Kényan moyen est très conscient de la politique, très engagé politiquement, et nous atteignons des taux de participation élevés à presque toutes les élections générales. Alors quand vous avez un processus d'inscription des électeurs dans lequel l'IEBC, la commission électorale tombe en dessous de son objectif, c'est nouveau, c'est un peu inquiétant pour être honnête.", a expliqué Tom Mboya, consultant en gouvernance .
Conséquence, le taux de participation fait donc partie des préoccupations majeures du scrutin à venir. Fait inédit dans le pays.
Face au candidat du pouvoir, William Ruto "confiant" en sa victoire à la présidentielle
Le vice-président kényan William Ruto, qui n'est pas soutenu par le pouvoir pour l'élection présidentielle du 9 août, affirme lundi à l'AFP croire en sa victoire, arguant que son pays est une démocratie où les élections ne sont pas manipulées.
Aujourd'hui âgé de 55 ans, Ruto, réputé ambitieux et fin stratège, s'était initialement vu promettre de succéder en 2022 au président sortant Uhuru Kenyatta comme candidat du parti présidentiel.
Mais dans un retournement d'alliances dont la politique kényane a le secret, Kenyatta et son parti soutiendront leur opposant historique Raila Odinga, 77 ans, lors de ce scrutin à forts enjeux pour la locomotive économique de l'Afrique de l'Est, reléguant Ruto au rang d'outsider.
"Je suis très confiant dans le fait que je vais gagner cette élection", affirme M. Ruto dans une interview à l'AFP depuis l'imposante vice-présidence, où s'alignent d'énormes véhicules floqués de son visage ou des couleurs jaune et verte de son parti, l'UDA.
"Les Kényans font suprêmement leur choix. Il existe un discours erroné selon lequel les élections sont manipulées (...) C'est très difficile de voler une élection", ajoute cet ancien député et ministre qui souligne avoir participé à sept scrutins nationaux et locaux.
Tout au plus, les élections peuvent être "influencées", dit-il, mais dans cette éventualité "nous tiendrons bon et nous gagnerons quand même".
Lors du dernier scrutin présidentiel en 2017, sur un recours d'Odinga qui estimait sa victoire volée dans un contexte de fortes tensions, l'élection avait été annulée par la Cour Suprême - une première en Afrique -, puis reprogrammée.
Les élections kényanes ont été à plusieurs reprises marquées par des violences, notamment ethniques, comme en 2007-2008 (plus de 1.100 morts, des centaines de milliers de déplacés).
Interrogé sur sa réaction en cas de défaite, M. Ruto, un temps poursuivi par la Cour pénale internationale pour son rôle dans les violences de 2007-2008, affirme que "l'élection sera pacifique".
Il est convaincu qu'il pèsera sur les destinées du pays, a minima à travers les législatives.
"D'après mes informations, nous contrôlerons certainement le Parlement et nous contrôlerons certainement le Sénat (...) Donc nous aurons une tâche à accomplir au service des Kényans, afin de nous assurer que le Kenya reste une démocratie."
- Pouvoir d'achat -
M. Ruto achève dix années de vice-présidence au cours desquelles il fut au coeur de l'appareil d'Etat, aux côtés d'Uhuru Kenyatta, mais il se revendique d'un héritage différent.
Se félicitant de leur coopération et de leurs succès notamment sur les infrastructures lors du premier mandat de 2013-2017, l'ancien dauphin accuse Kenyatta d'avoir délaissé leur programme commun, le "Big Four", axé notamment sur la sécurité alimentaire et le logement, lors du deuxième mandat.
"En conséquence, nous faisons maintenant face à une crise du coût de la vie au Kenya", affirme celui qui a axé sa campagne sur le pouvoir d'achat des plus pauvres, vendeurs de rue et autres moto-taxis, ainsi que sur l'emploi des jeunes.
Trois Kényans sur dix vivent dans l'extrême pauvreté, avec moins de 1,90 dollar par jour, selon la Banque mondiale.
Ruto, un riche homme d'affaires parti de rien, s'est érigé en défenseur du petit peuple des "débrouillards" face aux dynasties politiques kényanes, dont font partie MM. Kenyatta - fils du premier président du Kenya - et Odinga - dont le père fut vice-président.
Il défend une économie "du bas vers le haut" dans un pays miné par la corruption et la mauvaise gouvernance, où l'inflation a explosé ces derniers mois, alimentée notamment par les conséquences de la pandémie de Covid-19 et par la guerre en Ukraine.
"Nous avons amené les (vrais) problèmes au coeur des élections. Le point le plus important de cette élection aujourd'hui, c'est l'économie", se félicite-t-il.
Leader de l'ethnie kalenjin, l'une des plus importantes en nombre du pays, M. Ruto va jusqu'à affirmer que le vote communautaire, traditionnellement dominant au Kenya et alimentant les violences, va s'effacer.
Le candidat a choisi comme colistier Rigathi Gachagua, un Kikuyu, ethnie avec laquelle les Kalenjin s'étaient affrontés en 2007-2008. Raila Odinga, un Luo, a de son côté choisi comme colistière Martha Karua, également kikuyu.
"Nous avons largement réussi à nous écarter de la compétition habituelle autour des ethnies et ce genre de choses, jusqu'à un point où nous discutons de problèmes qui concernent tous les Kényans : le coût de la vie, l'économie, la création d'emplois", insiste-t-il à nouveau.
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