En Iran, la contestation est plus forte que jamais, six semaines après la mort de Mahsa Amini pour "port de vêtement inapproprié". Au coeur de la révolte, les réseaux sociaux jouent un rôle fondamental de relais du soulèvement et alimentent la mobilisation malgré la répression.
Les manifestations qui ont débuté en Iran il y a 50 jours pour dénoncer la violence à l'égard des femmes sont devenues le défi le plus sérieux lancé au gouvernement du pays depuis la révolution islamique de 1979.
La première manifestation a lieu à Saghez, ville natale de la jeune femme dans le Kurdistan iranien, au nord du pays. Les réseaux sociaux en informent immédiatement la terre entière, la contestation est suivie en temps réel, même depuis cette région excentrée et défavorisée, berceau de la minorité kurde. Les forces de l'ordre sont filmées quand elles tirent sur la foule pour disperser les manifestants, les images sont partagées et commentées.
Le 20 septembre, l'appel à la révolution se répand comme une traînée de poudre à travers le pays et un hashtag est créé: #IranRevolution, dans le sillage du hashtag déjà culminant, #MahsaAmini. Le mouvement gagne les universités et devient une fronde contre le régime, où chaque victime dans les manifestations réprimées par la police vient grossir encore l'indignation populaire.
«Il y a des similitudes entre les manifestations d’aujourd’hui en Iran et celles marquant la fin du shah»
Les troubles ont commencé le 16 septembre en réponse à la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans qui avait été placée en détention par la police des mœurs de Téhéran pour avoir prétendument enfreint les règles strictes de l'Iran exigeant que les femmes couvrent leurs cheveux avec un hijab, ou foulard.
Fin septembre, le viol d'une adolescente de 15 ans par le chef de la police de la région Zahedan, dans la province du Sistan-Baloutchistan, provoque la colère de la population qui descend dans la rue, au prix d'une répression policière sanglante, et se joint au mouvement #MahsaAmini. A l'heure actuelle, cette région, fief de la minorité sunnite et laissée-pour-compte des prestations de l'Etat, comptabilise presque la moitié des décès rapportés depuis le début du soulèvement.
Entre-temps, sur Instagram, Twitter et Facebook, les images s'imposent par leur force: des centaines de vidéos montrent des manifestantes retirer leur voile en public et se filmer en train de se couper les cheveux, un geste par ailleurs devenu viral et imité en signe de solidarité par de nombreuses femmes, célèbres ou non, dans le monde et aussi en Suisse.
Depuis, les manifestants continuent de défier la répression meurtrière des forces de sécurité. Le site Internet Human Rights Activists News Agency (HRANA) affirme qu'au 2 novembre, 298 personnes avaient été tuées et plus de 14 000 arrêtées lors de manifestations dans 129 villes. De nouvelles manifestations ont été organisées jeudi en Iran malgré la répression sanglante, les forces de sécurité ayant ouvert le feu contre des protestataires en colère lors d'une cérémonie de deuil près de Téhéran.
Selon l'ONG Iran Human Rights (IHR) basée en Norvège, de nombreuses personnes ont participé jeudi à Karaj près de Téhéran, à une cérémonie pour le 40e jour du décès de Hadis Najafi, une manifestante de 22 ans tuée, selon des militants, par des policiers en septembre.
La police a bloqué l'autoroute menant au cimetière pour empêcher un plus grand rassemblement sur les lieux, a affirmé l'ONG. IHR a publié une vidéo montrant des participants scandant "cette année est l'année du sang, Seyyed Ali (Khamenei) sera renversé", en référence au guide suprême de la République islamique.
Il est désormais courant de voir des slogans graffités et de voir sur les médias sociaux des vidéos dans lesquelles les gens s'enregistrent en train d'écrire sur les murs. Les conseils municipaux peignent les graffitis, mais ils mènent une bataille perdue d'avance.
La plupart des slogans visent le guide suprême, l'ayatollah Khamenei - une escalade de langage rarement vue auparavant - et attaquent le régime théocratique iranien en soulignant la nature laïque du mouvement de protestation.
Des manifestations malgré une mise en garde des Gardiens de la Révolution
Des dizaines d’images publiées sur les réseaux sociaux et notamment corroborées par Amnesty international, documentent l’usage de fusil à pompe par les forces de sécurité iraniennes, dont des agents de police, les forces paramilitaires du Basij, ainsi que la police anti-émeute.
Les VPN, outils indispensables pour la mobilisation des Iraniens en faveur de la liberté
L'accès à internet restreint
Depuis le début des manifestations, les connexions internet sont pourtant ralenties et les autorités ont rapidement bloqué l'accès à Instagram et WhatsApp. Cette mesure a été prise contre "des actions menées par des contre-révolutionnaires contre la sécurité nationale via ces réseaux sociaux", expliquait l'agence de presse Fars.
Instagram et WhatsApp étaient les applications les plus utilisées en Iran depuis le blocage des plateformes comme Youtube, Facebook, Telegram, Twitter et Tiktok ces derniers années. L'accès à internet est en outre largement filtré ou restreint par les autorités.
Si les images continuent de circuler malgré le blocus d’internet, c’est que les Iraniens et Iraniennes ont appris leur leçon. Le réseau n’est pas bloqué dans son intégralité, afin de permettre à l’économie déjà chancelante de continuer de fonctionner tant bien que mal. Pour contourner le blocus, les gens font usage de VPN ou de téléphones enregistrés dans des pays voisins en utilisant le roaming de ces numéros étrangers, qui ne sont pas bloqués.
Les manifestations font rage dans la rue en Iran depuis un mois et demi, l’occasion pour le gouvernement de resserrer toujours plus son emprise sur l’accès à Internet. Mais des bulles d’espoir demeurent
Alors que l’Iran est en proie à de violentes manifestations dans tout le pays, les autorités tentent de contrôler toujours plus l’accès au réseau Internet mondial pour ses citoyens. « Le niveau de censure y est tellement important que le sobriquet "Filternet" est parfois utilisé pour parler de la liberté d’accéder à Internet en Iran », précise Rayna Stamboliyska, spécialiste cybersécurité et diplomatie numérique.
Mais les Iraniens, qui subissent la censure depuis une dizaine d’années déjà, ont des solutions pour la contourner et témoigner de la situation dans leur pays, notamment grâce aux VPN.
« A la base déjà, installer un VPN, c’est faire de la désobéissance civile », assure Sara Saidi, journaliste spécialiste de l’Iran.
Un ministre annonce que le gouvernement va interdire les VPN et les toutes dernières onces de liberté d’Internet sont-elles sur le point de disparaître en Iran ? Alors que le pays connaît un soulèvement inédit depuis la mort, le 16 septembre, de Mahsa Amini, à l’issue de sa détention pour un voile « mal ajusté », l’accès à Internet est devenu très compliqué, voire impossible. Les VPN, ces réseaux privés virtuels où deux ordinateurs peuvent communiquer entre eux, hors du reste d’Internet, sont le meilleur moyen de contrer la censure imposée.
«A la base, installer un VPN, c’est faire de la désobéissance civile», assure Sara Saidi, journaliste spécialiste de l’Iran. Cet outil comparable à un «tunnel sur une route de montagne» où les informations échangées sont chiffrées, est incontournable dans le pays pour se connecter au réseau mondial.
Selon Top10VPN, un comparateur indépendant de VPN, qui recense et teste ces outils numériques, « la demande de VPN en Iran a atteint le 26 septembre, un pic de 3.082 % au-dessus de la moyenne alors que les gens luttaient pour contourner les restrictions Internet. Depuis lors, il est resté supérieur de 2.012 % au niveau de référence d’avant la manifestation», indique les statistiques du site.
Pourtant, Kavé Salamatian, professeur d’informatique à l’université de Savoie et spécialiste des infrastructures numériques en Iran, affirme que le phénomène n’est pas nouveau. « La situation est le résultat d’une dizaine d’années de travail effectué par le régime iranien pour réarchitecturer le réseau, de façon à le surveiller ». C’est ce qu’il appelle « faire rentrer le djinn dans la bouteille ». C’est-à-dire exercer un contrôle sur un monde qui jusqu’alors jouissait d’une grande liberté.
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