3 avril, à l’occasion de l’anniversaire de son assassinat… Hommage au journaliste Jean Léopold Dominique...
Jean Dominique, né le 30 juillet 1930 à Port-au-Prince en Haïti et mort le 3 avril 2000 dans cette même ville, est un journaliste haïtien. Il a été l’une des premières personnes en Haïti à diffuser des émissions de radio en créole haïtien, la langue parlée par la majorité de la population.
Le 3 avril 2000, Jean Dominique, journaliste et commentateur politique haïtien, était abattu dans la cour de sa station, Radio Haïti Inter. Cet assassinat de l’un des journalistes les plus célèbres du pays a profondément choqué la population : tandis que le président René Préval décrétait trois jours de deuil national, 16 000 personnes étaient présentes au stade Sylvie Cator pour assister aux funérailles. Depuis, une fondation a été créée, la « Fondasyon Eko Vwa Jean Dominique », pour faire en sorte que le crime ne reste pas impuni, et prolonger l’engagement du directeur de Radio Haïti Inter en faveur de l’éducation et de la formation de la population. « S’ils ont pu tuer Jean Dominique, ils peuvent tuer n’importe quel journaliste. » A l’image de Lilianne Pierre-Paul, l’actuelle directrice de Radio Kiskeya et ancienne journaliste de Radio Haïti Inter, l’ensemble des journalistes haïtiens a pris cet assassinat comme un avertissement adressé à toute la presse. Un an plus tard, une délégation de Reporters sans frontières s’est rendue sur place, du 19 au 25 mars 2001, pour évaluer l’état d’avancement de l’enquête et identifier les problèmes susceptibles de l’entraver. Dans un pays qui a connu une dizaine d’assassinats politiques au cours des deux dernières années, où des journalistes ont récemment été l’objet d’un appel au meurtre , l’aboutissement de l’enquête sur le meurtre de Jean Dominique marquerait en effet une rupture salutaire avec la culture d’impunité que connaît le pays. Compte tenu du climat qui règne à Haïti, la plupart des personnes rencontrées par la délégation de Reporters sans frontières ont demandé à garder l’anonymat. Jean Dominique : les combats d’un démocrate.
Né le 30 juillet 1930, Jean Dominique est issu de l’élite mulâtre, dans une société fortement hiérarchisée par la couleur de la peau. Agronome de formation, il s’engage aux côtés des paysans et des pauvres, ce qui lui vaudra d’être souvent considéré comme un traître par les membres de sa classe sociale. A la fin des années 1960, il entre à Radio Haïti comme reporter, station qu’il rachète en 1971 pour la rebaptiser Radio Haïti Inter.
Sous sa direction, la radio multiplie les innovations. Elle lance la première programmation en créole, dans un pays où seule une petite minorité parle le français, prône le journalisme de terrain et traite l’actualité internationale. Pourfendeur du régime des Duvalier (1957-1986), il est contraint à l’exil en janvier 1981 après que sa femme, Michèle Montas, et plusieurs membres de l’équipe de Radio Haïti Inter ont été arrêtés puis expulsés par les services de sécurité. Rentré après la chute de Jean-Claude Duvalier, Baby Doc, en février 1986, il quitte de nouveau le pays en 1991, fuyant l’arrivée au pouvoir des militaires. Il reviendra en 1994, lorsque tombe le régime militaire.
Après le départ des Duvalier, son combat pour la démocratie et ses préoccupations pour les questions sociales le conduisent à soutenir le mouvement Lavalas, créé autour de la candidature de Jean-Bertrand Aristide à la présidence, en 1990. Jaloux de son indépendance, Jean Dominique a cependant toujours refusé d’être le candidat d’un parti. Lorsque son ami René Préval accède à la présidence en février 1996, il devient son conseiller sans pour autant devenir membre de son cabinet. Il continue à animer son émission « Inter actualités », où il analyse et commente l’actualité haïtienne, et son programme d’interviews « Face à l’opinion ».
Ses critiques acerbes contre l’élite économique, les anciens duvaliéristes, les militaires, la politique haïtienne des Etats-Unis et, dernièrement, certains membres de Fanmi Lavalas, lui valent de nombreux ennemis. Jean Dominique est abattu le 3 avril 2000, à son arrivée à la radio, située au 522 rue Delmas, dans le quartier du même nom de la banlieue de Port-au-Prince. Après avoir manœuvré pour garer sa voiture dans la petite cour de la radio, le journaliste descend de son véhicule pour se diriger vers l’entrée du bâtiment. Entre-temps, un inconnu est entré à pied dans l’enceinte de la radio. S’approchant de Jean Dominique, il sort son arme et tire à sept reprises dans sa direction, avec des balles de calibre 9 mm. Quatre projectiles au moins atteignent le journaliste, le blessant mortellement à la carotide et à l’aorte. Le journaliste meurt pratiquement sur le coup. Jean-Claude Louissaint, le gardien de la station, est immédiatement abattu d’une balle de même calibre, mais dite « à pointe creuse ». « Jean a été tué parce qu’il était incontrôlable ». Pour son épouse Michèle Montas, un an après l’assassinat, il n’y a qu’une certitude : « Jean a été tué parce qu’il était incontrôlable. » Un homme d’autant plus dangereux qu' »il avait les moyens d’empêcher beaucoup de gens de faire beaucoup d’argent », ajoute la veuve du journaliste, avant de préciser que, contrairement à certaines rumeurs, « Jean n’avait de dossiers sur personne, mais avait cette capacité à saisir des informations éparses pour les analyser et révéler ce qu’elles annonçaient. »
Sa fille Gigi rappelle par ailleurs que les questions sans complaisance du journaliste avaient valu à plusieurs personnes de perdre leur poste après une interview. Dans ses dernières interventions à l’antenne, Jean Dominique accusait plusieurs institutions participant à l’organisation des élections parlementaires du 21 mai 2000 de préparer un « coup d’Etat électoral », destiné à empêcher une vaste participation populaire à ces élections. Il avait critiqué les courts délais donnés à la population pour s’inscrire sur les listes électorales et le nombre réduit de bureaux d’enregistrement des électeurs.
Dans ses éditoriaux, il avait mis en cause le CNO (Conseil national d’observation des élections), un organisme regroupant plusieurs organisations de la société civile, et le CEP (Conseil électoral provisoire), une institution officielle chargée de l’organisation des élections. Léopold Berlanger, directeur du CNO, a été « invité » (le terme utilisé en Haïti pour « convoqué ») comme témoin par le juge d’instruction, début novembre 2000 puis début février 2001. Pour Léopold Berlanger, l’assassinat de Jean Dominique a été utilisé comme prétexte pour attaquer le CNO. A plusieurs reprises, Jean Dominique s’en était pris à l’entreprise pharmaceutique Pharval, contrôlée par la famille Boulos. En 1997, il avait dénoncé la mort de 80 enfants, empoisonnés par un sirop contre la toux produit par l’entreprise. Plus récemment, il avait mis en cause la même entreprise dans un scandale concernant la fabrication d’un produit frelaté à l’éthanol.
En octobre 1999, il avait accusé Dany Toussaint, membre de Fanmi Lavalas et ancien chef de la police intérimaire (1995-1996), d’être à l’origine d’une campagne de diffamation contre Robert Manuel, ancien secrétaire d’Etat à la Sécurité publique, et Pierre Denizé, alors directeur général de la Police nationale de Haïti (PNH). Les deux hommes étaient mis en cause, sur plusieurs radios, dans l’assassinat, le 8 octobre 1999, de Jean Lamy, pressenti pour être le successeur de Robert Manuel. Dans un éditorial du 19 octobre 1999, Jean Dominique mettait en garde Jean-Bertrand Aristide contre « les ambitions » de Dany Toussaint. Après avoir accusé ce dernier d’avoir envoyé, la veille, des hommes de mains protester devant sa radio pour l’intimider, il prévenait : « Je sais qu’il a la fortune qu’il faut pour payer et armer des sbires (…).
Si Dany Toussaint tente alors autre chose contre moi ou contre la radio et si j’ai la vie sauve, je fermerai le poste (…) et je prendrai une nouvelle fois le chemin de l’exil avec ma femme et mes enfants. » Enfin, dans une émission diffusée le 9 février 2000 sur la station Radio Liberté, basée à New York, Jean-Claude Nord et Gérard Georges, deux des avocats de Dany Toussaint, et l’ancien duvaliériste Serge Beaulieu, avaient menacé de mort Jean Dominique et Michèle Montas. Quelques mois plus tard, Jean-Claude Nord demandera que Michèle Montas s’explique devant la justice sur le fait qu’elle n’ait pas été aux côtés de son mari le jour de son assassinat, insinuant qu’elle aurait pu faire éliminer son époux pour toucher une assurance vie. Il accusera également la femme du journaliste d’être à l’origine des attaques visant à ruiner la candidature de Dany Toussaint à l’élection présidentielle de 2005.
Les résultats de l’enquête
Les débuts de l’enquête ont été marqués par de nombreuses fausses pistes. Quelques jours seulement après le 3 avril, on apprend que le cadavre de « l’assassin présumé du journaliste » a été retrouvé pour découvrir, peu après, que l’inconnu en question est décédé trois jours avant la date de l’assassinat. Fin avril, alors qu’il s’apprêtait à traverser la frontière pour se rendre en République dominicaine, Bob Lecorps, un homme déjà accusé en 1997 d’avoir participé à l’assassinat de l’ancien ministre de la Justice Guy Malary, est arrêté. Faute de preuves, la piste est rapidement abandonnée.
Le corps est libéré. Entre 70 à 80 personnes ont été entendues par Jean Sénat Fleury et Claudy Gassant, les deux juges qui ont successivement mené l’instruction. Un an après, les enquêteurs sont parvenus à établir les faits suivants : L’assassinat a été planifié au cours de plusieurs réunions.
Le 3 avril, les assassins sont postés devant la radio à partir de 5h30. Sept personnes sont présentes : deux tueurs et cinq complices. Ces derniers attendent dans trois voitures : une Nissan Pathfinder rouge dans laquelle les deux tueurs ont pris la fuite, une Cherokee blanche, ainsi qu’une camionnette, garée un peu plus bas dans la rue. Malgré la nature différente des balles retrouvées dans le corps de Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint, les projectiles pourraient provenir de la même arme, qui n’a pas été retrouvée. Deux des voitures ayant servi au crime, la Cherokee blanche et la Nissan Pathfinder, sont des véhicules volés qui avaient déjà été utilisés pour d’autres crimes.
Le troisième véhicule sera retrouvé carbonisé. Si aucun commanditaire n’a encore été inquiété, les juges ont incarcéré six personnes pour leur participation directe ou indirecte dans l’assassinat : Le tueur présumé, Jamely Millien, surnommé « Tilou », arrêté une dizaine de jours après l’assassinat. Le deuxième tireur, Jean Daniel Jeudi, dit « Gime », frère de « Tilou ». Son rôle aurait consisté à couvrir son frère pendant l’assassinat. Il a été arrêté quelques semaines après le début de l’enquête. Un individu dont on sait qu’il avait des contacts au palais national. Philippe Markington, un homme connu pour revendre les informations que ses entrées au sein de différentes institutions lui permettent de se procurer.
Il s’était présenté aux enquêteurs quelques jours après le 3 avril, affirmant qu’il avait vu toute la scène alors que, par hasard, il attendait quelqu’un sur le lieu du crime ce jour-là. Il était prêt à collaborer avec la justice en échange de la libération d’un ami. La précision de son témoignage a conduit la police à soupçonner P. Markington d’avoir lui-même participé au meurtre. Celui-ci avait notamment donné les numéros des plaques d’immatriculation de deux des véhicules, et le lieu où le troisième véhicule avait été abandonné. Deux policiers. L’un, nommé Ralph Léger, a été arrêté alors qu’il était en possession de la Cherokee blanche ayant participé au crime. D’après une enquête réalisée par la journaliste Ana Arana pour la Société interaméricaine de presse (SIP), publiée le 12 mars, les trois premiers suspects auraient des liens avec Ronald Camille, plus connu sous le nom de « Ronald Cadavre », soupçonné d’être le chef de plusieurs organisations criminelles.
Une trentaine de crimes lui seraient imputés. Son nom avait été cité dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du sénateur de l’opposition Yvon Toussaint. Ronald Cadavre est soupçonné de contrôler les trafics de voitures, de camions et d’armes dans la zone portuaire et de rançonner les commerçants de Port-au-Prince. D’après Ana Arana, « son territoire s’étend du port (…) jusqu’au grand marché du centre ». Ronald Cadavre, qui aurait accaparé aujourd’hui le contrôle de la sécurité du port de la capitale, a été entendu par le juge d’instruction comme témoin. Son frère, Franco Camille, est membre de Fanmi Lavalas.
Zones d’ombres : la mort de Jean Wilner Lalanne.
C’est en enquêtant sur l’origine des voitures ayant été utilisées dans l’assassinat de Jean Dominique que les enquêteurs se sont intéressés à Jean Wilner Lalanne. Ce dernier travaillait pour un réseau de voitures volées. Il était également recherché pour l’assassinat d’un ingénieur dans la banlieue nord de Port-au-Prince.
Bien que déjà appréhendé dans cette première affaire, il avait, à l’époque, été libéré dans des circonstances douteuses. Soupçonné d’être le lien entre les tueurs et les commanditaires, Jean Wilner Lalanne est arrêté le 15 juin 2000. Blessé par balles à la fesse et à la cuisse lors de son interpellation, il décède treize jours plus tard au cours de l’opération qu’il subit pour une fracture du fémur. La cause exacte du décès n’a pas été établie.
Le diagnostic du chirurgien orthopédiste qui a mené l’opération, le Dr Alix Charles, privilégie la thèse de l’embolie pulmonaire, mais ce diagnostic aurait été contredit par l’autopsie. Deux mois plus tard, lorsqu’une nouvelle autopsie est ordonnée, on constate que le corps de Lalanne a disparu depuis plusieurs semaines sans aucune explication. Une enquête a été ouverte par le juge d’instruction. Début juillet 2000, quelques jours après la mort de Jean Wilner Lalanne, Radio Haïti Inter s’était interrogée sur le recours à la violence lors de l’arrestation de ce suspect. Au total, trois des personnes arrêtées pour leur participation supposée à l’assassinat de Jean Dominique ont été blessées lors de leur interpellation, dont le tueur présumé, Jamely Millien.
Après son arrestation, Lalanne a fait part à plusieurs reprises de sa peur d’être tué. Or, au début de son séjour à l’hôpital, personne n’avait été affecté à sa surveillance. Par la suite, des personnes ont pu le rencontrer dans sa chambre sans la présence des policiers. Pendant les treize jours qui ont précédé son opération, Lalanne n’a été entendu qu’une fois par le juge d’instruction qui l’aurait interrogé uniquement sur l’assassinat de l’ingénieur.
Alors qu’il avait désigné un autre médecin, Lalanne a été opéré par le Dr Alix Charles. Le 28 juin 2000, il est transféré de l’Hôpital général à l’hôpital Saint-François de Sales où il est opéré dans l’après-midi par le Dr Charles, assisté d’un chirurgien assistant, le Dr Delaneau, et de deux anesthésistes, Marie Yves-Rose Chrisostome et Gina Georges. Les quatre personnes ont été par la suite entendues par le juge.
Le Dr Alix Charles est aujourd’hui inculpé pour homicide involontaire, mais il n’a pas répondu à la convocation du juge. Quatre autres personnes sont actuellement incarcérées dans le cadre de cette affaire. En fait, plusieurs personnes s’interrogent sur les liens existant entre le Dr Charles et Dany Toussaint. Le Dr Charles est un ami de Richard Salomon, considéré comme le « bras droit » du sénateur. Par ailleurs, c’est l’avocat de Lalanne, Me Ephésien Joassaint, qui est venu solliciter le médecin. Or, Me Joassaint avait été recommandé à Lalanne par Jean-Claude Nord, l’avocat de Dany Toussaint.
Jean Dominique reste le symbole de la liberté d’expression durant les régimes politiques oppressifs des Duvalier. C’est un activiste et journaliste qui utilise sa position pour chercher la vérité, exposer la corruption, lutter pour la liberté d’expression et l’amélioration du sort des paysans. Son assassinat devant sa station de radio le 3 avril 2000 crée un vide dans les médias haïtiens, que nul n’a encore réussi à combler.
Rappelez-vous : Jean Léopold Dominique était le directeur de Radio HAITI Inter et a été l’une des premières personnes à diffuser des émissions de radio en langue créole.
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