Aziz Rebbah, ministre des Mines et de l’Energie et Abdelkader Amara, ministre de l’Equipement, du transport et de la logistique, deux ministres marocains, veulent autoriser une activité qui menace l’environnement du littoral, l’écosystème marin et le gagne-pain de plusieurs milliers de pêcheurs, en fermant l’œil sur deux études scientifiques dont une émane du département de l’Environnement?
Tout d’abord c’est quoi le dragage ?
On appelle dragage l’opération qui consiste à extraire les matériaux situés sur le fond d’un plan d’eau. L’objectif peut être de réaliser des travaux de génie portuaire (creusement de bassins ou de chenaux), d’entretenir les chenaux fluviaux ou maritimes empruntés par les navires lorsqu’ils ont été comblés par les sédiments, d’effectuer des opérations de remblaiement pour reconstituer les plages ou gagner des terres sur la mer ou d’extraire des granulats marins pour répondre aux besoins du secteur de la construction.
Désolé environnement, l’Argent passe avant toi !
L’affaire de l’autorisation de dragage du sable de mer au large de Larache, octroyée à la société Drapor fin août 2020, n’a pas encore révélé tous ses secrets. Accordée par Aziz Rebbah, ministre des Mines et de l’Energie, cette autorisation est d’ordre environnementale. Aussi secondaire qu’elle puisse paraître du fait qu’elle requiert une deuxième autorisation d’exploitation du département de l’Equipement, il ne faut pas se leurrer, elle est le principal obstacle que ladite société n’a pas pu surmonter depuis 23 ans. Même du temps où Amara était à la tête du département des Mines et de l’Energie, car ce dernier était sérieusement gêné par une étude scientifique réalisée par sa «collègue» du parti, alors ministre de l’Environnement, Nezha El Ouafi, qui a conclu aux dangers du dragage du sable de mer sur l’écosystème marin, l’environnement du littoral et la pêche.
Interrogée par l’AFP sur les mesures prises pour lutter contre l’extraction illégale de sable, l’ex secrétaire d’Etat chargée du développement durable, Nezha El Ouafi, affirme qu' »un plan national de protection du littoral est en cours de validation ». Elle promet aussi « des mécanismes d’évaluation, avec des programmes de protection et de valorisation ».
Cet obstacle aujourd’hui franchi, il reste l’aval final d’exploitation de Abdelkader Amara, en sa qualité de ministre de l’Equipement, du transport et de la logistique. C’est à son niveau que tout se joue maintenant. C’est ce qu’a bien compris Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la Pêche, qui vient de saisir directement il y a quelques jours seulement, le ministre Amara, par le truchement d’une correspondance, qui laisse dégager un ton ferme. Dans sa lettre, M. Akhannouch s’oppose catégoriquement à cette autorisation de dragage du sable de mer à Larache: «Je voudrais vous faire part de l’opposition du département de la pêche maritime à l’activité de dragage dans cette zone pouvant compromettre la durabilité de l’activité de pêche qui constitue par ailleurs un secteur économique et social de premier ordre pour la région.»
Dangers pour l’écosystème marin
Le ministre Akhannouch rappelle dans cette correspondance les retombées néfastes du dragage du sable marin sur l’écosystème marin, la santé et l’abondance des stocks halieutiques, se basant sur l’étude scientifique de l’Institut national de recherche halieutique de 2015, mise à jour en 2019. Bref, que dire de deux ministres qui veulent autoriser une activité qui menace l’environnement du littoral, l’écosystème marin et le gagne-pain de plusieurs milliers de pêcheurs, en fermant l’oeil sur les conclusions de deux études scientifiques dont une émane du département de l’Environnement?
Le dragage de sable marin favorise l’intrusion de l’eau de mer dans les nappes souterraines et leur contamination par le sel. Le dragage intensif est à l’origine de la destruction d’habitat et de la fragmentation des écosystèmes fragiles, ce qui menace la biodiversité. Ainsi, les tortues de mer qui pondent sur les plages de sable sont perturbées lorsque leurs sables sont exploités. L’extraction de sable de mer provoque une augmentation de la turbidité dans l’eau, nuisant à la croissance d’organismes qui ont besoin de lumière, tels les coraux ou le phytoplancton, nourriture de nombreux poissons, d’où un impact négatif sur la pêche. Cette turbidité a de plus des impacts négatifs dans certaines zones sensibles pour la pêche (frayères, nourriceries) et la conchyliculture.
Comment ces deux ministres ont-ils fait fi des acquis du Royaume en matière d’environnement (organisation de la COP22 à Marrakech, ratification de conventions internationales de protection de l’environnement…) et des objectifs de développement durable pour la réalisation desquels le pays est engagé, pour satisfaire certains intérêts au détriment de l’intérêt général? Le parlement a créé une commission d’inspection pour passer au crible ces autorisations et licences de dragage du sable. Une enquête doit être ouverte par le Parquet général pour tirer au clair ces zones d’ombre et de non-droit, à Larache comme ailleurs. Il est temps de combattre un grand mal qui gangrène le pays: la rente.
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