Covid-19 : un premier pas vers un traitement bloquant l’entrée du virus dans les poumons.
Pour accroître l’arsenal thérapeutique contre le Sars-CoV-2, des chercheurs français (Sorbonne Université, CNRS et ENS Université PSL) se sont concentrés sur l’interaction entre le virus (via la protéine Spike) et le récepteur humain ACE2, qui constitue au niveau pulmonaire, la porte d’entrée du virus dans les cellules. Ils ont ainsi eu l’idée de construire des leurres peptidiques de la protéine humaine ACE2. Ils ont ainsi réussi à créer des « mimes » dont deux se sont révélés puissants, capables de stopper l’infection virale.
Des chercheurs du CNRS, de l’Inserm, de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, de Sorbonne université, du Collège de France et de l’Institut Pasteur publient un article dans les Comptes Rendus de Biologie de l’Académie des sciences qui postule un rôle central du récepteur nicotinique de l’acétylcholine dans la propagation et la physiopathologie de Covid-19.
L’hypothèse des chercheurs est fondée sur la conjonction de deux approches scientifiques différentes mais complémentaires.
Un premier constat, fait dès la publication des séries initiales de patients Covid-19, est celui d’un taux faible de fumeurs dans cette population. Ce signal, dont l’interprétation était impossible en raison de nombreux biais méthodologiques, a suscité une étude française prenant en compte ces facteurs confondants qui a confirmé que les fumeurs actifs sont protégés contre l’infection par SARS-Cov-2 (Miyara M et al. Soumis, pour publication ; preprint disponible sur Qeios). Les raisons de cette protection ne sont pas établies mais la nicotine pourrait être un candidat.
Un second constat complémentaire suggère que l’infection par le SARS-CoV-2 fait intervenir le récepteur nicotinique de l’acétylcholine :
la forte prévalence des manifestations neuropsychiatriques au cours du Covid-19 est en faveur d’un neurotropisme de SARS-CoV-2. Le SARS-CoV-2 pourrait se propager à partir de la muqueuse olfactive, puis des neurones du tronc cérébral, allant dans certains cas jusqu’aux centres respiratoires. Cette invasion s’accompagnerait de la perte du sens de l’olfaction, et chez certains patients, de troubles neurologiques variés jusqu’à, éventuellement, un arrêt respiratoire brutal survenant de manière décalée (expliquant le virage observé vers le 8e jour). Par ailleurs, l’enveloppe de SARS-CoV-2 expose une boucle avec une séquence similaire à un motif présent sur la glycoprotéine du virus de la rage. Celui-ci est connu pour un neurotropisme directement lié à sa fixation sur le récepteur nicotinique de la jonction nerf-muscle. Il entre dans les neurones moteurs et se propage ensuite jusqu’au système nerveux central où il crée des troubles graves du comportement. Ces éléments de séquence sont aussi similaires à un motif présent sur une toxine du venin de serpent, la bungarotoxine, dont la forte affinité pour le récepteur nicotinique servit à son isolement et à son identification.
l’état hyper-inflammatoire et l’orage cytokinique décrits chez les patients Covid-19 graves pourrait d’autre part s’expliquer par l’intervention du récepteur nicotinique. L’acétylcholine exerce un effet régulateur de l’inflammation par son action sur le récepteur nicotinique macrophagique. Le dérèglement de ce récepteur entraîne une hyperactivation macrophagique avec sécrétion de cytokines pro-inflammatoires comme on l’observe chez les patients Covid-19. Cette altération du récepteur nicotinique est à l’origine de l’état résiduel inflammatoire décrit au cours de l’obésité et du diabète, qui pourrait être amplifié en cas d’infection par le SARS-CoV2. Cette hypothèse expliquerait pourquoi ces deux comorbidités sont si fréquemment retrouvées au cours des cas graves de Covid-19.
Compte-tenu de l’urgence sanitaire, il apparait souhaitable d’évaluer rapidement l’impact thérapeutique des agents modulateurs du récepteur nicotinique, directs et/ou indirects, addictifs ou non-addictifs sur l’infection par SARS-CoV-2. Des études cliniques sont en cours.
Comment le coronavirus pénètre dans nos cellules et s’y réplique… Et comment le contrer
Protéine Spike, récepteur ACE2, furine, exonuclease, remdesivir… Les connaissances sur le coronavirus SARS-Cov2 progressent à grands pas grâce aux chercheurs du monde entier. Décryptage des principales étape de l’infection par le virus et de sa réplication, ainsi que du mode d’action des candidats médicaments testés pour contrer la pandémie de Covid-19.
Les recherches sur le SARS-Cov2 et le Covid-19 progressent avec la mobilisation des scientifiques du monde entier. Un corpus de connaissances s’élabore à grande vitesse, s’ajoutant à celles obtenues sur les coronavirus responsables des épidémies de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 et de MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2013-2015.
Les principales étapes de l’infection des cellules humaines et de la réplication du virus sont peu à peu dévoilées, et avec elles les cibles potentielles pour des molécules médicamenteuses.
Activation de la protéine virale Spike par la furine et accrochage sur le récepteur ACE2
Les coronavirus se caractérisent par leur couronne de protéines dites « Spike » ou S. Comme tous les virus, ils utilisent nos cellules comme hôtes pour se reproduire. Mais, le SARS-Cov2 doit subir une étape de « priming », sorte d’activation, pour devenir infectieux. Une protéase, un type d’enzyme de notre organisme, coupe la protéine Spike afin de la rendre fonctionnelle.
« Des travaux récents montrent que la protéase appelée furine induit le priming », explique Etienne Decroly, chercheur CNRS au laboratoire Architecture et fonction des macromolécules à Marseille et membre de la société française de virologie.
Une fois la protéine Spike « primée » ou activée, elle va s’attacher à l’un des récepteurs présents à la surface de nos cellules, nommé ACE2 et impliqué, notamment, dans la régulation de la tension artérielle. Ce récepteur est présent sur les cellules de différents organes : le nez, les yeux, les poumons, le système digestif, le cœur et dans une moindre mesure dans les reins et le foie. Le SARS-Cov2 peut donc infecter tous ces organes, c’est pourquoi les patients atteints de COVID-19 présentent une grande diversité de symptômes.
« On a trouvé une surexpression importante de ACE2 dans le nez, ce qui pourrait expliquer la haute contagiosité de ce virus », détaille Christophe Bécavin, chercheur à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire. Lorsque nous respirons des particules virales, leurs protéines Spike trouvent ainsi rapidement dans notre nez des cellules auxquelles s’accrocher.
Fusion de la membrane cellulaire – la chloroquine et le Camostat de mésilate pour la bloquer
« Au-delà d’attacher le virus à la cellule, le rôle de la protéine Spike est d’induire la fusion entre l’enveloppe virale et une membrane cellulaire », précise Jean Dubuisson, chercheur CNRS au centre d’infection et d’immunité de Lille. Comme le SARS-Cov2 possède une enveloppe, il doit en effet la combiner avec la membrane de nos cellules ou de nos compartiments cellulaires pour y pénétrer. Cette étape, appelé endocytose, nécessite que la protéine Spike soit coupée à nouveau par une protéase appelée TMPRSS2 (protéase transmembranaire à sérine 2).
Aujourd’hui, un médicament est déjà connu pour inhiber la TMPRSS2 : le Camostat mésilate. Une publication scientifique datée du 5 mars 2020 montre que, in vitro, cette molécule permet d’empêcher le SARS-Cov2 d’entrer dans les cellules.
L’endocytose implique aussi des variations du pH à l’intérieur de la cellule. La chloroquine, l’antipaludéen promu comme traitement du Covid-19 par le professeur Didier Raoult, à Marseille, et qui fait partie de l’essai clinique européen Discovery, empêcherait ces modifications de pH et enrayerait ainsi l’entrée du virus dans la cellule.
Synthèse de l’ARN viral messager et duplication de l’ARN génomique viral – le remdesivir pour les perturber
Lorsque le virus a pénétré dans la cellule, il libère son ARN (acide ribo-nucléique) génomique. L’ARN polymérase du virus, l’une des 16 protéines présentes dans le virus, synthétise alors l’ARN messager et des copies de l’ARN génomique qui seront utilisées pour former de nouvelles particules virales.
Une stratégie antivirale classique consiste à perturber la synthèse des ARN viraux effectuée par l’ARN polymérase du virus. En effet, certains médicaments miment les nucléotides qui composent l’ARN et peuvent les remplacer lors de la réplication des ARN du virus, induisant des erreurs dans ces ARN et aboutissant au blocage de la réplication du virus.
Problème : les coronavirus sont les seuls virus à génome ARN qui possèdent un mécanisme de correction des erreurs. Il implique une enzyme appelée exonucléase, capable d’éliminer la plupart des analogues de nucléotides. « Un inhibiteur de cette exonucléase serait donc une molécule thérapeutique intéressante mais aujourd’hui, à ma connaissance, on n’en connait pas », se désole Etienne Decroly.
Le remdesivir est une molécule qui parviendrait à s’insérer dans l’ARN viral tout en échappant à la vigilance de l’exonucléase virale. Ce médicament a été à l’origine développé comme traitement contre le virus Ebola. Il fait aujourd’hui l’objet de tests cliniques pour évaluer son efficacité contre le COVID-19, notamment dans le cadre de l’essai clinique européen Discovery.
Une étude chinoise publiée mercredi 29 avril ne montre pas d’effet significatif du remdesivir pour soigner des patients. Cependant, le même jour, les Instituts américains de la santé (NIH), ont annoncé que, selon leur essai clinique ACTT, le remdesivir permertait aux patients de guérir plus vite. Les résultats de Discovery sont donc attendus avec impatience pour permettre d’y voir plus clair.
Multiplication de particules virales par l’exploitation de la machinerie cellulaire – l’ivermectine et le lopinavir pour la saboter
Une fois que le virus a synthétisé son ARN messager, il va profiter des mécanismes de nos cellules pour se reproduire. « L’ARN messager du virus utilise la machinerie cellulaire pour faire synthétiser les polyprotéines virales qu’il code », explique Etienne Decroly.
Certains traitements visent notre machinerie cellulaire. C’est le cas de l’ivermectine, un antiparasitaire, qui bloque le transport de protéines entre le noyau et le cytoplasme dans notre cellule. In vitro, des tests ont montré qu’elle pouvait détruire jusqu’à 99,8% de la charge virale. Mais « ce résultat, même s’il est encourageant, ne démontre pas que l’ivermectine est efficace chez l’homme et le mode d’action de cette molécule contre le SARS-Cov2 reste mal compris », alerte Etienne Decroly.
Une fois la polyprotéine synthétisée, une protéase virale la coupe et permet la formation de particules virales fonctionnelles. Un autre traitement envisagé contre le COVID-19 est un inhibiteur de cette protéase virale. Ainsi, le nouveau virus ne sera pas capable d’être assemblé et de sortir de la cellule hôte : la réplication est stoppée. Ce médicament, appelé Kaletra, est un anti-VIH (le virus du SIDA). Il est composé de lopinavir, la molécule qui inhibe la protéase, et de ritonavir, qui empêche le lopinavir d’être dégradé trop vite par l’organisme.
Le Kaletra fait actuellement l’objet d’un test clinique européen au même titre que le remdesivir. Dans cet essai, il sera prescrit seul ou en combinaison avec de l’interféron, une molécule qui permet de booster l’immunité.
Emballement du système immunitaire – le tocilizumab pour revenir à l’équilibre
Mais notre immunité ne joue pas toujours en notre faveur. L’interféron est sécrété naturellement par notre corps lorsqu’un virus pénètre l’organisme. Or « on observe un lien entre cette molécule et la surexpression de ACE2 », révèle Christophe Bécavin. Notre réponse immunitaire accroît ainsi la présence de récepteurs ACE2, porte d’entrée dans nos cellules pour le virus, facilitant donc la progression de l’infection.
De plus, les syndromes de détresse respiratoires observés chez certains patients ne sont pas dues au virus lui-même mais à une réaction inflammatoire de notre organisme, appelé orage cytokinique. En effet, les cytokines, des molécules messagères, attirent les globules blancs dans les poumons où ils sécrètent plus de cytokines qui attirent d’autres globules blancs : le système immunitaire s’emballe. « Cet afflux trop important de cellules immunitaires dégrade les muqueuses pulmonaires », indique Morgane Bomsel, chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin. Le 27 avril, l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) a annoncé que le tocilizumab « améliore significativement le pronostic des patients ». Ce médicament régule la réponse immunitaire en bloquant une cytokine appelé interleukine-6.
Avec, egora, industrie-techno, medecine.sorbonne-universite
Comments