L’Afrique : potentiel prochain foyer du coronavirus, mise sur la chloroquine.
Si la chloroquine s’avère efficace, c’est un atout pour l’Afrique dont les pays ont des ressources très limitées, s’enthousiasme d’avance le professeur Cheikh Sokhna, paludologue….
Ce médicament antipaludique, bien connu sur le continent, a été utilisé pendant plus de trente ans et suscite de l’espoir. Au Sénégal, les autorités sanitaires ont tranché en faveur de l’hydroxychloroquine, cette molécule très proche de la chloroquine et au coeur d’une polémique mondiale dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Les patients traités par l’hydroxychloroquine «guérissent plus vite», a assuré le professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann à Dakar, lors d’une prise de parole publique jeudi 2 avril. «Ce constat me rassure et rassure mes équipes. Dans les jours à venir, nous allons y associer de l’azithromycine, un antibiotique qui nous permettrait d’avoir de meilleurs résultats», a-t-il poursuivi.
Un mois après le premier cas officiel de contamination au Covid-19 du Sénégal, le pays compte 222 cas déclarés positifs, dont 137 sous traitement – une cinquantaine à l’hydroxychloroquine. Le professeur Seydi reste prudent et affirme que «la constatation seule ne suffit pas» et qu’il «faut faire des recherches poussées». Mais il a tout de même choisi d’en faire un usage compassionnel (accès à un médicament non autorisé en dehors d’un essai clinique) après s’être appuyé sur l’étude controversée de Didier Raoult, professeur français né au Sénégal et directeur de l’institut hospitalier universitaire (IHU) de Marseille.
Didier Raoult l’Africain
Né au Sénégal, où il a passé son enfance, le médecin et chercheur français Didier Raoult a conservé des liens professionnels et affectifs forts avec le continent. Et de nombreux pays africains ont d’ores et déjà recours à la chloroquine pour traiter les personnes infectées par le Covid-19.
Spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille et à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection, le professeur aux cheveux longs et à la barbe poivre et sel était encore largement inconnu du grand public à la fin de février, lorsque ses prises de position pour un traitement du coronavirus à base de chloroquine ont commencé à se faire entendre. Depuis, le Français a vu sa renommée médiatique et digitale s’envoler. Et dans les rangs de ses plus fervents supporteurs, le continent africain n’est pas en reste.
Cette décision suscite de l’espoir au Sénégal, où la chloroquine a été utilisée pendant trente ans pour combattre le paludisme, tout comme sur le reste du continent. Ce produit a cessé d’être prescrit à partir de 2002, quand sont apparues les premières résistances à la molécule. Mais face au Covid-19, la chloroquine apparaît de nouveau comme un «traitement miracle», qui permettrait de réduire la charge virale des patients positifs et donc de casser la chaîne de transmission.
«Personne ne connaît mieux la chloroquine que nous» «Si la chloroquine s’avère efficace, c’est un atout pour l’Afrique dont les pays ont des ressources très limitées, s’enthousiasme d’avance le professeur Cheikh Sokhna, paludologue et chef d’équipe à Dakar au sein d’une unité de recherche médicale pilotée par l’IHU de Marseille de Didier Raoult. C’est un produit connu et maîtrisé, bon marché et avec des effets secondaires mineurs. Personne ne connaît mieux la chloroquine que nous, chercheurs africains.»
Le Sénégal est loin d’être un exemple isolé sur le continent. Burkina Faso, Cameroun, Afrique du Sud, Maroc, Madagascar, Tunisie… La liste des pays africains qui ont annoncé des essais cliniques ou qui ont autorisé la chloroquine dans les structures hospitalières s’allonge. Pourtant, l’efficacité de la molécule n’a pas encore été scientifiquement prouvée, avertit (’Organisation mondiale de la santé (OMS).
«Nous nous questionnons sur la dose efficace à prescrire», souligne ainsi le docteur Michel Yao, responsable des opérations d’urgence de l’OMS pour l’Afrique. Il met aussi en garde contre les effets secondaires inconnus, surtout pour les personnes cardiaques. «Les chercheurs africains doivent suivre de près les patients aux profils différents, avec des cas de VIH, de tuberculose ou de malnutrition, chez qui les effets de la maladie pourraient ne pas être les mêmes qu’en Europe ou qu’en Chine», prévient-il.
Malgré la prudence affichée par l’OMS, le Maroc a été l’un des premiers pays du continent à généraliser dès le 23 mars un traitement à base de chloroquine ou d’hydroxychloroquine, en association avec l’azithromycine, pour tous les patients testés positifs. «Nous sommes soulagés, confie le professeur Abdelfattah Chakib, spécialiste des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd de Casablanca. L’équipe de Marseille a notamment démontré que la chloroquine raccourcit la durée du traitement. Cela permet de libérer plus rapidement des lits et ainsi éviter la situation dans laquelle se trouvent certains pays européens.»
«Pas de groupe comparatif» Avec 1 021 cas détectés, dont 70 décès et 76 rémissions, les autorités marocaines estiment qu’il est encore trop tôt pour évaluer les résultats de ce nouveau protocole thérapeutique. «Tous les patients infectés suivent ce traitement, nous n’avons donc pas de groupe comparatif. Il sera difficile de savoir s’ils guérissent grâce au traitement ou grâce à leur système immunitaire», admet le professeur Chakib.
Prenant l’hypothèse de la chloroquine au sérieux, les gouvernements africains ont commencé à réfléchir au moyen de s’en procurer. Au Sénégal, le ministère de la santé a entamé des négociations avec la seule usine pharmaceutique du pays pour qu’elle reprenne ses activités, à l’arrêt depuis janvier à cause d’un lourd endettement. «On sait produire la chloroquine, l’équipement et le personnel sont là, il manque seulement les matières premières qui viennent d’Inde et de Chine», assure Nicodème Ngom, délégué du personnel de l’usine Médis Sénégal.
En République démocratique du Congo (RDC), le président Félix Tshisekedi a déclaré la semaine dernière qu’il était «urgent» de produire la chloroquine «en quantité industrielle». De son côté, l’une des plus grosses entreprises pharmaceutiques sud-africaines a promis de donner 500 000 tablettes aux autorités sanitaires.
Au Maroc, l’intégralité du stock de chloroquine et d’hydroxychloroquine de la filiale du laboratoire français Sanofi a été réquisitionnée dès mi-mars. «Nous disposons d’un stock largement suffisant et nous devrions être en mesure de relancer la production si le nombre de malades augmente significativement», indique un responsable du ministère de la santé à Rabat. Les pharmacies ne peuvent plus délivrer ces produits, sauf pour les personnes atteintes de certaines maladies auto-immunes. «Cela évite l’automédication qui peut s’avérer dangereuse», avertit le professeur Chakib.
Ruée dans les pharmacies sans ordonnance Une ruée dans les pharmacies sans ordonnance et dans les marchés informels s’observe pourtant dans plusieurs pays du continent. Au Nigeria, trois patients empoisonnés à la chloroquine ont déjà été hospitalisés. Dans le marché informel du médicament Keur Serigne Bi à Dakar, des commerçants vendent de la chloroquine comme traitement contre le coronavirus pour un prix plus élevé que d’habitude, selon une enquête de terrain menée par Alice Desclaux, médecin et anthropologue de la santé pouf l’institut de recherche pour le développement (IRD) et basée au Sénégal.
«Après avoir été retirée du circuit officiel pour soigner le paludisme, la chloroquine est devenue un médicament populaire et traditionnel qui a continué à être utilisé pour soigner la fièvre ou autres symptômes infectieux proches du paludisme. Il est aussi utilisé pour provoquer un avortement ou pour tenter de se suicider», détaille la chercheuse. «Les produits amers comme la chloroquine ont en plus la réputation d’être efficaces», ajoute-t-elle. Dans une Afrique sous équipée, la chloroquine est ainsi perçue comme le seul espoir face au pic de l’épidémie à venir.
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