La militante franco-algérienne avait échappé in extremis, en février, à l’extradition vers l’Algérie depuis la Tunisie, avant de s’envoler vers Paris. La justice algérienne a également condamné à six mois de prison ferme le journaliste Mustapha Bendjama, accusé de l’avoir aidée à s’enfuir en France.
Le tribunal de Constantine a condamné mardi à 10 ans de prison par contumace l'opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, et à six mois ferme le journaliste Mustapha Bendjama, accusé de l'avoir aidée à s'enfuir en France, selon des médias algériens et Khaled Drareni, représentant de Reporters sans Frontières.
Le parquet avait requis 10 ans de prison contre Mme Bouraoui et trois ans contre le journaliste, qui compte tenu du temps déjà passé en détention préventive, est libérable immédiatement, a indiqué M. Drareni sur X (anciennement Twitter).
«La loi est claire. L’article 365 du code pénal précise que l’accusé est libéré si son incarcération couvre la durée de la sentence», a expliqué à l’AFP Me Abdellah Heboul, avocat du journaliste. Mustapha Bendjama a par ailleurs été condamné dans un autre dossier le 26 octobre à vingt mois de prison, dont huit ferme, aux côtés du chercheur algéro-canadien Raouf Farrah, libéré après avoir purgé la même peine. Arrêté le 8 février dans les locaux de son journal à Annaba (est), il est en détention préventive depuis près de neuf mois.
Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), le journaliste «reste en détention car il fait l’objet d’un mandat de dépôt et ne peut pas bénéficier d’une confusion de peines», tant que le dernier jugement n’est pas définitif. «Il lui reste encore cinq mois à passer en prison, sauf acquittement en appel ou réduction de peine», écrit le CNLD sur sa page Facebook.
Bagarre entre la maitresse et la titulaire
Amira Bouraoui, médecin de formation et âgée de 46 ans, était jugée pour "sortie illégale du territoire" après avoir franchi la frontière entre Algérie et Tunisie le 3 février, bravant une interdiction de sortie, avant d'être interpellée à Tunis alors qu'elle tentait d'embarquer vers Paris.
La militante avait finalement pu s'envoler vers la France trois jours plus tard, malgré une tentative des autorités tunisiennes de la renvoyer en Algérie.
Alger avait qualifié sa fuite d'"exfiltration illégale" menée à l'aide de personnels diplomatiques et sécuritaires français, et avait rappelé son ambassadeur à Paris pour consultations. Cette brouille diplomatique s'était résorbée en mars.
Bête noire du régime algérien
Cette journaliste à Radio-M, média privé, animait jusqu’à récemment une émission de débat politique intitulée «CPP» (Café politique presse), au cours de laquelle elle a l’habitude de décortiquer, avec ses invités, les dérives répressives des dirigeants de «l’Algérie nouvelle». Radio-M diffuse actuellement ses émissions sur le web depuis l’emprisonnement de son patron et fondateur, le journaliste Ihsane El Kadi, et la mise sous scellés de ses locaux en décembre dernier.
Mme Bouraoui s'est fait connaître en 2014 par son engagement dans le mouvement +Barakat+ contre le quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, avant de s'engager dans le mouvement de protestation "Hirak" et de travailler pour la radio privée indépendante Radio M.
Amira Bouraoui a remercié "tout ceux qui ont fait en sorte qu'(elle) ne (se) retrouve pas une autre fois derrière les barreaux", mercredi sur sa page Facebook, citant les ONG Amnesty International et Human Rights Watch (HRW), les journalistes et les personnels consulaires de l'ambassade de France en Tunisie.
Elle a assuré que son départ pour la France n'est pas "un exil" et qu'elle sera "de retour très vite" en Algérie.
"On ne quitte pas sa terre par gaieté de cœur. Il peut nous arriver de décider de partir car on n'en peut plus de tant d'injustice. Interdire un citoyen de voyager est une atteinte à ses droits les plus élémentaires surtout quand la constitution stipule que l'interdiction ne peut être que de 3 mois renouvelable une seule fois et qu'on vous interdit de voyager pendant des années tout en maintenant une pression sans commune mesure sur vous. On vous empêche de travailler, de voyager on vous poursuit en justice à tout va pour des écrits et même pour des blagues sur Facebook. On vous fait sentir que vous êtes une persona non grata tout en vous empêchant de bouger sous risque d'aller en prison. On vous demande d'écrire une lettre d'excuses afin de pouvoir voyager et la vous vous posez la question : qui doit s'excuser? Vous décidez de tenter le tout pour le tout afin de sauver ce qui vous reste tout en laissant derrière vous tout ce qui vous reste, mais vous avez trop milité pour la liberté d'autrui pour mettre de côté la votre parfois celle de la simple expression. Vous voyez des journalistes emprisonnés pour rien ou maintenus sous pression afin de les pousser à l'autocensure.... et puis vous n'en pouvez plus.... vous décidez de partir. Vous etouffez l'affaire, vous ne voulez pas utiliser votre statut d'opposante, vous êtes rattrapées par un pays voisin, après 3 jours de détention avec des criminels de droit commun vous êtes libérée par la juge, on vous interpelle muni de votre papier de libération. Vous dites : elle vient de me libérer la juge ou m'emmenez vous ? J'ai passé 3 jours en détention, je ne me suis pas changée ni douchée ni même mangé un seul vrai repas, ou suis je ? Tais toi ! Pourquoi m'enlevez vous le passeport que la juge m'a remis en main propre ? Pourquoi m'enfermez vous ici alors que personne n'est au courant ? Ou est l'avocat ? Asseyez-vous et taisez vous. C'est une séquestration ! Ça fait des heures que je suis ici ... dites moi juste pourquoi? J'avais dit à mes amis ne mediatisez pas SVP ! Je ne veux pas mettre la Tunisie dans la gêne entre deux pays dont j'ai la nationalité, j'aime la Tunisie autant que l'Algérie et je ne veux pas la mettre dans la gêne. Je veux juste aller voir mon fils et me sentir libre un instant loin de toutes ces pressions .... ne dites rien. Mais une fois séquestrée ce n'était plus possible. Vous leurs dites : faites pas ça c'est pas bon pour l'image de votre pays ! La juge m'a libérée elle est juge au nom de votre république .... vous ne pouvez pas aller à l'encontre de son jugement ! Taisez vous ! Ou est l'avocat ? Asseyez-vous et taisez vous ! ..... à travers une fenêtre vous voyez votre avocat : Maître ! Je suis séquestrée maître ..... et la .... vous qui disiez aux détenues : faut pas pleurer ça va aller ..... vous qui vous dites à chaque fois .... un militant ne doit pas pleurer ..... les larmes que vous avez tant retenu tous ces jours passé à être menottées puis enfermée ... vous ne pouvez plus les retenir. Vous dites .... je ne voulais pas politiser tout ça, je voulais juste aller à l'encontre d'une interdiction injuste contre ma liberté de mouvement .... c'est tout ce qui vous reste parfois quand vous avez tout perdu ... voir son fils ... pourquoi tout ce cirque? Est ce que je risque encore d'aller en prison ? Puis ce souvenir de 20 gendarmes qui rentrent chez vous sous le regard effaré de vos enfants qui voient leur mère se faire interpeller comme un trafiquant ..... de post Facebook .... non ..... je veux pas revivre tout ça. Je remercie tout ceux qui ont fait en sorte que je ne me retrouve pas une autre fois derrière les barreaux. Je remercie les organisations Amnesty et human rights watch d'avoir lancé l'alerte. Je remercie les journalistes ainsi que les représentants consulaires ainsi que ceux de l'ambassade de France en Tunisie ainsi que tous ceux qui ont contribué de prêt ou de loin pour ma libération, les avocats qui ne m'ont pas lâchée. Je m'excuse auprès des proches ainsi que des amis que je n'ai pas informé de mon projet de départ momentané, ce n'est pas un exil. Je suis chez moi ici tout comme je le suis en Algerie ce pays pour lequel je me suis tant battue pour le voir Grand car il le mérite tant. Je suis chez moi la ou je suis libre d'écrire sans risquer à chaque fois de me retrouver derrière les barreaux pour une publication. Je suis chez moi la ou je ne vois pas la valse des journalistes en prison et des militants sans cesse malmenés pour des broutilles. Je suis chez moi la ou je peux dénoncer ce que j'estime être injuste sans me dire demain ils vont peut être venir me chercher. Je suis chez moi partout dans le monde mais un peu plus la ou je peux être moi sans avoir à être malmenée sans cesse juste pour quelques mots et une poignée de réflexions. Merci à vous tous de m'avoir soutenue malgré une campagne de dénigrement sous prétexte que je sois également détentrice de la nationalité Française tout comme mes enfants et ça ne date pas d'hier. Ça n'a jamais été un secret pour personne et je n'en éprouve aucune honte bien au contraire. C'est ça aussi le rapprochement ❤️. Ce n'est qu'un au revoir à très bientôt j'ai besoin de me reposer de tout ce qui vient de se passer. Je serais de retour très vite."
Le tribunal de Constantine a également condamné à trois ans de prison ferme Ali Takaida, un agent de la police aux frontières, et à un an de prison avec sursis la mère d’Amira Bouraoui, Khadidja, âgée de 71 ans. Le cousin d’Amira Bendjama, Yacine Bentayeb, et un chauffeur de taxi ayant transporté la militante ont aussi écopé de six mois ferme. Les coaccusés de la militante étaient poursuivis pour «constitution d’une association de malfaiteurs, sortie illégale du territoire national, organisation d’immigration clandestine par un réseau criminel organisé».
Mustapha Bendjama avait été arrêté le 8 février dans les locaux du journal francophone Le Provincial, basé à Annaba (est), dont il est rédacteur en chef, dans le cadre de l'affaire Bouraoui.
Il a été condamné le 26 octobre dans une autre dossier à 20 mois de prison dont huit ferme aux côtés du chercheur algéro-canadien Raouf Farrah, qui a retrouvé la liberté après avoir purgé la même peine.
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