Près de quatre ans après le soulèvement pacifiste de 2019, le climat politique s’est assombri en Algérie alors que le régime intensifie sa traque des derniers noyaux protestataires.
«Je n’ai jamais souhaité quitter l’Algérie. C’est mon pays, ma terre. Là où je me suis battue. Ce sont les circonstances qui me l’ont imposé. La pression devenait insupportable.» Pour l’opposante algérienne Amira Bouraoui, l’équation était simple: la prison ou l’exil.
Algérie: «Il y a un retour de la rhétorique de la peur»
En Algérie, c'est le 2 avril 2023 que l'on connaîtra le verdict dans le procès du journaliste Ihsane El Kadi, le fondateur du site d'informations Maghreb Emergent, contre qui le procureur a requis cinq ans de prison dimanche dernier. Pour beaucoup d’observateurs, Ihsane El Kadi est loin d’être le seul prisonnier d'opinion en Algérie. Pourquoi cette vague de répressions, trois ans après l'arrivée au pouvoir d'Abdelmadjid Tebboune ? Dalia Ghanem est analyste à l'European Union Institute for Security Studies (EUISS) et a publié, en anglais, L'autoritarisme compétitif en Algérie. Elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
« La peur fait son grand retour »
RFI : Dalia Ghanem, le procureur a requis cinq ans de prison contre le journaliste Ihsane El Kadi. Comment interprétez-vous ce réquisitoire ?
Dalia Ghanem : C'est dans la continuité de cette escalade répressive qui remonte, je dirais, au confinement puisque les autorités algériennes avaient utilisé le confinement du Covid-19 pour étouffer le Hirak, et c'est dans la continuité de ces actes de répression.
Alors, notre confrère Ihsane El-Kadi a été arrêté en décembre dernier juste après avoir signé une analyse sur ce qu'il appelle « l'incapacité du président Tebboune d'ouvrir une perspective politique ».
Oui, tout à fait. Alors je pense que Ihsane, il est l'un parmi tant d'autres, étant de ses rares journalistes qui, encore indépendant, dit ce qu'il pense et bien sûr ça dérange le régime. Alors, il faut savoir que la liberté d'expression, oui, elle existe, mais elle existe encore sous certaines conditions. C'est-à-dire quand le régime décide ou juge que vous avez dépassé la ligne rouge, vous êtes jugé pour diffamation, parfois pour association avec le terrorisme. Donc, ils utilisent aussi l'appareil judiciaire pour pouvoir arriver à leurs fins. Et je pense que Ihsane, il n’est pas le seul, il y a aussi des chercheurs, des universitaires, qui ont été aussi inquiétés, parfois arrêtés pour des raisons complètement fausses, mais c'est aussi une manière pour le régime d'effrayer la population et d'arrêter toute velléité du Hirak de revenir.
Et visiblement le président Tebboune a été piqué au vif par cette analyse d'Ihsane El Kadi puisque deux mois plus tard, en février dernier, il a accusé publiquement Ihsane El Kadi d'être un « khabardji », c'est-à-dire un informateur comme du temps de la guerre pour l'indépendance.
Tout à fait. Alors c'est un classique, j'ai envie de dire, ce sont des insultes, entre guillemets : «Khabardji», ou alors harkis, ou alors complotistes, avec cette fameuse rhétorique de la main étrangère qui veut du mal à l'Algérie. Effectivement, il y a un retour vers une rhétorique de la peur. Il n’y a pas que Ihsane bien sûr, ils sont à peu près 280 à 300 personnes à être dans les geôles algériennes aujourd'hui. Et je pense qu'il faut aussi parler de toutes ces personnes qui sont peut-être moins connues, mais au-delà des grands noms et des procès très médiatisés, il y a quand même 300 personnes aujourd'hui qui sont des détenus politiques pour leurs opinions. Donc, je pense que ce processus d'escalade répressif va continuer dans les prochains mois jusqu'à ce que le régime soit, j'ai envie de dire, certain que le Hirak ne reviendra pas dans les rues.
Mais pourtant, on croyait que ce mouvement Hirak s'était essoufflé depuis le Covid et qu'il n'inquiétait plus le régime.
Alors il s'est essoufflé, oui, mais encore une fois on ne sait pas ce qu'il est: est-ce qu'il est mort, je dirais ? Les Algériens, en février 2019, ont prouvé leur capacité à se mobiliser et ont prouvé aussi leur capacité à bien se mobiliser. On se rappelle tous de cette mobilisation pacifique et civique. C'était à la même à l'époque que les « gilets jaunes » en France et je me rappelle que les analystes étaient assez impressionnés par le civisme de ce mouvement. Donc ça a pris le régime un peu au dépourvu, ils ne s'attendaient pas à ça. Et donc, ils se disent à un moment donné, effectivement, le Hirak pourrait revenir.
Pour le moment, ils ont une manne économique qui est assez importante grâce à la guerre en Ukraine qui permet aussi d'acheter encore la paix sociale, mais ils se disent quand il y aura plus le moyen d'acheter la paix sociale et quand la taille de la carotte - parce que c'est toujours la carotte et le bâton - ne sera plus disponible il faudra utiliser un peu plus le bâton parce qu'ils ont encore cette crainte que le Hirak revienne sous une forme ou sous une autre.
Il y a trois ans au moment de l'arrivée au pouvoir d'Abdelmadjid Tebboune, il y a eu un vent d'espoir démocratique sur l'Algérie. Est-ce qu'aujourd'hui ce vent est totalement retombé ?
Il y a eu un vent d'espoir démocratique ? Je ne suis pas sûre. Ce qui arrive dans les régimes comme le régime algérien qui a un régime semi-autoritaire, dans les moments de transition, les études ont montré que il y a deux voies généralement : soit une ouverture et donc on a le nouveau leader qui veut parler à l'opposition et faire des concessions, ce qu'on avait pensé d'Abdelmadjid Tebboune au début, puisque on se rappelle que deux mois après son élection la télévision nationale avait annoncé la sortie de prison d'à peu près 76 activistes. Mais en fait, très vite, il s'est avéré que l'Algérie nouvelle dont il parlait était rhétorique. Dès l'élection de Tebboune, trois mois après, le retour vers un autoritarisme beaucoup plus dur est déjà en marche parce que le régime n'a pas de vision politique stratégique. La seule vision du régime, c'est de se maintenir.
Abdelaziz Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune: peut-on dire que les présidents passent et que c'est l'armée qui reste au pouvoir ?
Tout à fait. D'ailleurs je l'explique bien dans mon livre, je dis : «Le centre, le cœur du pouvoir en Algérie reste l'armée, elle prend les décisions majeures, elle ne gouverne pas au jour le jour, mais c'est elle qui dirige le pays, c'est elle qui prend les décisions les plus importantes de politique étrangère, d'économie et cetera.» Donc, effectivement, les présidents se succèdent. Il ne faut pas oublier aussi que les présidents sont choisis quand même par l'armée. Le retour de Bouteflika en 1999 n'aurait pas été possible sans l'aval de l'état-major de l'armée et pareil pour Abdelmadjid Tebboune.
Le départ du gouvernement du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est-ce le signe d'une discorde au sein de l'appareil d'État et peut-être d'un vrai débat démocratique à venir, en vue de la prochaine élection?
Un vrai débat démocratique, non, mais d'une discorde, oui, ce n'est pas la première. On a vu Ramtane Lamamra partir et revenir souvent. Alors, c'est un peu triste pour la diplomatie algérienne parce que c'est quand même l'un des poids lourds de la diplomatie algérienne, c'est monsieur Afrique, c'est quelqu'un qui connaît très bien le continent africain, c'est quelqu'un qui est bien connu dans les instances de l'ONU. Il est clairement aussi le signe d'un conflit entre le président et le ministre des Affaires étrangères. Et je pense que, en tout cas, les rumeurs veulent que monsieur Lamamra ait des ambitions présidentielles. Alors est-ce que c'est vrai ou pas ? Clairement, encore une fois, le régime fait attention à qui il place, où il les place.
Avec, RFI
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