Algérie / vendredi 70: le come-back du hirak
Algérie / vendredi 70: arrestations en série de militants du Hirak.
Né en février 2019 d’un immense ras-le-bol des Algériens, le «Hirak» réclame un changement du «système» en place depuis l’indépendance en 1962. En vain jusqu’à présent, même si elle a obtenu en avril 2019 le départ du président Abdelaziz Bouteflika après vingt ans au pouvoir. Arrestations et procès se multiplient ces derniers jours en Algérie contre les militants du Hirak et les contestataires du régime. Mais la répression pourrait être contre-productive pour le pouvoir.
Ce vendredi 19 juin, la répression se poursuivait. Le Comité nationale pour la libération de détenus évoquait cet après-midi encore de nouvelles arrestations.
Ils sont poursuivis pour «des délits d’opinion et d’expression en lien avec des publications sur les réseaux sociaux, notamment Facebook», souligne-t-il. Leurs domiciles sont perquisitionnés, leurs téléphones portables confisqués.
Le régime algérien a multiplié ces derniers jours les interpellations et condamnations de militants du «Hirak», ciblant aussi des blogueurs sur Facebook, afin d’enrayer la reprise de la contestation au moment où s’amorce le déconfinement.
Répression
Avec environ 200 arrestations depuis le début du confinement décrété mi-mars pour lutter contre le nouveau coronavirus, «le pouvoir a vite profité de la trêve pour arrêter le maximum d’activistes», affirme Saïd Salhi, vice-président de Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH).
« Le pouvoir profite de la pandémie pour arrêter le maximum d’activistes », s’énerve le vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme Saïd Salhi. En effet, 200 arrestations ont eu lieu depuis début mars : des figures du mouvement, des militants politiques ou encore des inconnus. Les procès se multiplient également. Le rythme s’accélère même depuis quelques jours. Ce jeudi 18 juin, par exemple, plus de 20 opposants ont été appelés à comparaître devant les tribunaux. Une soixante seraient déjà en prison en ce moment.
Délits d’opinion
En l’absence de manifestations à cause de la Covid-19, on leur reproche des délits d’opinions avec, par exemple, des publications sur Facebook. Les associations de défense des droits de l’homme rapportent aussi des cas de domiciles perquisitionnés et même de téléphones portables confisqués. Reporters sans frontières a aussi tiré la sonnette d’alarme concernant des poursuites engagées contre des journalistes.
Par ailleurs, fin avril, les députés algériens ont adopté un nouveau code pénal. Il permet notamment de poursuivre ceux qui publient de « fausses informations portant atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat ». Ces termes larges permettent de poursuivre facilement et sont dénoncés par les opposants.
Tensions sociales
Mais tout cela ne semble pas stopper le mouvement du Hirak, pas pour l’instant en tous cas. « Les condamnations de manifestants renforcent le scepticisme des Algériens », estime Brahim Oumansour, de l’Institut de relations internationales et stratégiques basé à Paris. Malgré la pause des manifestations. Malgré l’élection d’Abdelmadjid Tebboune en décembre dernier.
مباشر:🇩🇿 19 جوان: البويرة Bouira الجمعة الـ70 للحراك الشعبي: مسيرة كبيرة تجوب شوارع الولاية للمطالبة برحيل النظام وإطلاق سراح المعتقلين. Impressionnante marche à Bouira à l’occasion du 70e vendredi du Hirak populaire. pic.twitter.com/9tkOk5Dmkq — Said Touati (@epsilonov71) June 19, 2020
La répression pourrait même jouer dans le sens inverse. Dans la population, certains s’interrogent sur la bonne volonté du pouvoir de renforcer la démocratie tout en allant à la confrontation avec les militants du Hirak. Ainsi, la colère gronde, et pas seulement dans la capitale. Et si cette colère est politique, elle est aussi sociale avec ces manifestations ailleurs qu’à Alger, comme à Ouragala, plus au nord, le week-end dernier. Beaucoup crient leur détresse notamment face au chômage.
Pour la seule journée de jeudi, plus de 20 opposants étaient cités à comparaître lors de sept audiences distinctes. La plupart de ces procès avaient été reportés pour cause de pandémie.
Parmi les accusés: des figures plus ou moins connues du «Hirak», des militants politiques et des journalistes, mais aussi des quidams accusés d’avoir moqué le pouvoir sur Facebook.
Dans un communiqué, l’ONG Reporters sans Frontières (RSF) a appelé «les autorités à cesser d’instrumentaliser la justice pour museler les médias».
«La multiplication des poursuites contre les journalistes algériens est extrêmement inquiétante et fait état d’une dégradation flagrante de la liberté de la presse en Algérie», a accusé Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de RSF.
Quatre journalistes algériens ont fait l’objet cette semaine de poursuites ou condamnations à des peines de prison.
#Ouargla #Algerie le 14 Juin 2020 grand rassemblement pacifique de Mkhadma jusqu’au Siege de wilaya,demandant plus de développement,afin d’attirer l’attention des authorites sur la marginalisation, manque criant de loisir,désinvestissement,Chômage, Loisir,Degrdation cadre de vie pic.twitter.com/lA1OsFpgpR — ورقلة نيوز Ouargla News🇩🇿🇩🇿 (@minochere) June 14, 2020
« Instrumentalisation de puissances étrangères »
Des quotidiens font aussi le lien entre des troubles récents dans le Sud du pays à Tin Zaoutine et la situation sociale sur place. Toute une série de raisons pour lesquelles les militants du Hirak ne veulent pas baisser les bras. Des appels à manifester, malgré l’interdiction toujours en cours face à la pandémie, sont d’ailleurs lancés ici et là ces jours-ci.
Le pouvoir peut en attendant compter sur certains soutiens, notamment universitaires. On a lu et entendu récemment en Algérie des attaques contre ce que certains nomment « un néo-Hirak », prétendument instrumentalisé par des puissances étrangères.
La vague de répression s’est accélérée en l’espace de quelques jours.
#Algérie, journée tendue à l’occasion du vendredi 70 du #Hirak, plusieurs interpellations sur plusieurs wilayas, des émeutes dont enregistréea Béjaïa. À l’instant début de libération des manifestants dans plusieurs wilayas. Béjaïa retour graduel au calme. pic.twitter.com/3O7kHFIplw — said SALHI (@saidsalhi527) June 19, 2020
«Casser le « Hirak »»
Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien, soixante prisonniers d’opinion sont actuellement derrière les barreaux.
«Le pouvoir ne croit pas au changement, il refuse d’écouter le peuple. À mon avis, il procède aux arrestations pour casser le +Hirak+», estimait récemment l’avocat Mustapha Bouchachi, dans le quotidien francophone Liberté.
Mais loin de briser ce mouvement de protestation inédit, pluriel et sans tête de file proclamée, la traque aux «hirakistes» pourrait avoir l’effet contraire.
«C’est un sentiment général de +Hogra+», un terme populaire algérien qui signifie «abus de pouvoir», qui prévaut dans la population, observe M. Salhi.
Comments