La militante politique et animatrice de l’émission café presse politique (CPP) de Radio M, Amira Bouraoui a été arrêtée ce vendredi à l’aéroport international de Tunis, au moment où elle allait embarquer sur un vol à destination de Paris.
Placée sous interdiction de sortie du territoire national depuis quelques mois, et interdite que voyage, sans décision judiciaire depuis près de deux ans, la militante a tenté de se rendre à Paris en transitant par la Tunisie. Au moment de l’embarquement, la militante a été arrêtée munie de son passeport français. Elle a été placée en garde à vue avant d’être présenté devant le procureur de la République près le tribunal de Tunis, ce lundi 6 février. Le parquet avait ordonné sa remise en liberté. Dès sa sortie du tribunal, Amira Bouraoui a été de nouveau arrêtée et conduite à l’aéroport de Tunis afin d’être extradée vers l’Algérie. A l’heure où nous mettons en ligne, la militante est toujours à l’aéroport international de Tunis. Des ONG de défense des droits de l’Homme tentent de se mobiliser pour geler cette extradition qui, selon des sources proches du dossier, n’est pas motivée par une décision de la justice tunisienne. Certaines de ces ONG tentent de faire valoir le fait qu’elle soit munie d’un passeport français et que si extradition il y a, elle devrait se faire vers la France. Contactée, Me Zoubida Assoul explique que l’extradition et les conditions de son application relèvent des accords bilatéraux entre l’Algérie et la Tunisie. « Mais dans toutes les situations, l’extradition ne devrait pouvoir se faire sans une décision judiciaires », conclut l’avocate.
Les ONG de défense des droits de l’Homme ont alerté le Quai d’Orsay, afin que les autorités consulaires françaises en Tunisie interviennent pour la ressortissante française. Mais le consul général de France à Tunis n’a donné aucun signe de vie.
Que risque Mme Bouraoui ?
S’il s’avère que la militante a traversé les frontières algériennes de manière illicite afin de se rendre en Tunisie pour tenter de rejoindre Paris, elle tombe sous le coup de l’article 175 bis 1 du code pénal algérien, qui prévoit une peine de 2 à 6 mois de prison assorti d’une amende.
Article 175 bis 1 : « Sans préjudice des autres dispositions législatives en vigueur, est puni d’un emprisonnement de deux (2) mois à six (6) mois et d’une amende de 20.000 DA à 60.000 DA ou de l’une de ces deux peines seulement, tout algérien ou étranger résident qui quitte le territoire national d’une façon illicite, en utilisant lors de son passage à un poste frontalier terrestre, maritime ou aérien, des documents falsifiés ou en usurpant l’identité d’autrui ou tout autre moyen frauduleux, à l’effet de se soustraire à la présentation de documents officiels requis ou à l’accomplissement de la procédure exigée par les lois et règlements en vigueur. La même peine est applicable à toute personne qui quitte le territoire national en empruntant des lieux de passage autres que les postes frontaliers ».
Déjà condamnée pour plusieurs chefs d’accusation, dont «atteinte à la personne du président», la médecin gynécologue de 45 ans, activiste de longue date, a de nouveau été condamnée en appel, le 18 octobre 2021, à deux ans de prison notamment pour « offense » à l’islam. Amira Bouraoui dit connaître tous les commissariats d’Alger, tant cette femme, médecin gynécologue de 45 ans, est victime d’un harcèlement judiciaire depuis une dizaine d’années. Le 18 octobre, la cour de Tipaza, à l’ouest de la ville, l’a condamnée en appel à deux ans de prison ferme pour « offense » à l’islam pour des propos tenus sur sa page Facebook.
Connue pour ses critiques de la politique, de la religion et de l’oppression des femmes, Amira Bouraoui avait également déjà été condamnée en mai 2021 à deux ans de prison pour «atteinte à la personne du président » et « diffusion d’informations susceptibles d’attenter à l’ordre public » (les peines ne sont toutefois pas cumulables). Elle n’a pour l’heure pas été incarcérée.
Dès 2011 elle réclame « la fin du système »
« Elle a été condamnée par contumace. Pourtant, Amira Bouraoui n’a jamais fui la justice, elle s’est toujours présentée à ses procès. Mais savait-elle seulement que celui-ci avait lieu ? », interroge Said Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme.
En février 2011, après la chute des présidents tunisien et égyptien Ben Ali et Moubarak dans un monde arabe en ébullition, Amira Bouraoui sort aussi dans les rues d’Alger pour réclamer «la fin du système ». Ce qui lui vaut de premiers séjours dans les commissariats d’Alger.
Mais c’est en 2014 qu’elle apparaît comme l’une des figures de la contestation contre le quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Elle est alors l’une des leaders du mouvement Barakat (« Ça suffit ! »). Au moment de l’élection en avril 2014, elle confie au magazine Jeune Afrique :« Nous sommes des citoyens, que certains pensaient morts ; nous n’étions qu’en convalescence d’une période douloureuse. Nous réapprenons à marcher, nous apprendrons à courir pour le bien de notre pays. »
À nouveau, elle participe activement au Hirak, le mouvement contre le cinquième mandat, qui a finalement raison de vingt ans de règne du président Bouteflika au printemps 2019. Elle est arrêtée en juin 2020 et reconnue coupable de six chefs d’inculpation qui lui valent d’être condamnée à un an de prison ferme. Incarcérée le 21 juin, elle est finalement remise en liberté provisoire le 2 juillet dans l’attente d’un nouveau jugement. En novembre 2020, elle est condamnée à trois de prison.
5 femmes parmi les 222 détenus d’opinion
D’après le décompte du comité national pour la libération des détenus, 222 détenus d’opinion purgent leur peine dans les prisons algériennes ou y restent souvent de longs mois en détention provisoire en attente de jugement. Parmi eux, cinq femmes, quatre activistes et la présidente du Congrès mondial amazigh (berbère), toutes incarcérées ces derniers mois. « Nous vivons une période du tout-sécuritaire, avec un durcissement des peines, le peuple ne va pas pouvoir continuer à subir cette pression », s’inquiète Said Salhi. Aucune manifestation n’a pu se tenir ces derniers mois. Pas même, pour la première fois de l’histoire, pour célébrer le soulèvement du 5 octobre 1988.
Comments