Afrique /Royaume du Maroc: M. Mastafa Amadjar, Directeur de la Communication et des relations générales au ministère marocain de la Culture, de la jeunesse et des sports,- Département de la communication « La presse doit se redéployer face à la révolution digitale ».
M. Mastafa Amadjar est Directeur de la Communication et des relations générales au ministère marocain de la Culture, de la jeunesse et des sports . Dans une interview réalisée par le journal « Le Soleil« [Entretien réalisé au Maroc par Matel BOCOUM], il évoque la situation de la presse dans le royaume chérifien dans un double contexte marqué par la crise sanitaire et le développement du digital.
Le Soleil est un journal quotidien sénégalais, créé à Dakar en 1970. Le Soleil est l’héritier de Paris-Dakar, créé par l’homme de presse français Charles de Breteuil en 1933. D’abord hebdomadaire, Paris-Dakar devient le premier quotidien d’Afrique noire en 1936. Lors de l’indépendance du Sénégal en 1960, le journal change de nom pour devenir Dakar-Matin, puis Le Soleil le 20 mai 1970. Le fils de Charles de Breteuil, Michel de Breteuil est créateur en 1971 du magazine féminin Amina, le « magazine de la femme africaine ». Le titre appartient à la Société sénégalaise de Presse et de Publications (SSPP), dont les actionnaires majoritaires sont l’État du Sénégal, des sociétés publiques, des collectivités et des institutions.
Quel est l’état de la presse au Maroc ?
Je dirai que le paysage médiatique marocain est très riche et diversifié. Les procédures de création d’une entreprise de presse ont été assouplies au Maroc qui privilégie une politique d’ouverture et qui accorde un grand intérêt à la presse. Sa Majesté Le Roi Mouhamed 6 l’a manifesté en accompagnant la presse à travers la promulgation de lois mais aussi de subventions qui leur sont allouées. Avec la pandémie, la presse a beaucoup souffert comme c’est le cas dans d’autres pays. L’État est intervenu à travers des mécanismes d’accompagnement.
Ces fonds alloués à la presse lors de la crise sanitaire ont-ils permis d’amoindrir le mal ?
Des aides financières ont été octroyées aux médias, indépendamment de leur ligne éditoriale. Nous avons d’ailleurs un cadre juridique qui assure la sécurité réglementaire et qui permet aussi bien à la presse en ligne qu’aux médias classiques de bénéficier de l’aide publique qui est encadrée par une loi. Chaque année, il y a un budget de 110 millions de Dirahms affectés à la presse. Cette année, il a connu une hausse eu égard à la conjoncture liée à la pandémie. L’État a tenu compte de la chute des ventes pour augmenter les fonds et garantir ainsi une prise en charge des salaires des journalistes. Sans cela, la presse marocaine aurait du mal à exercer sa mission. On avait noté une certaine psychose, des gens ont eu peur d’acheter les journaux avec l’idée qu’ils pouvaient être des vecteurs de la maladie. La révolution technologique qui a engendré de réelles mutations a aussi un impact considérable sur les canaux classiques de distribution de l’information.
Certains craignent que cette révolution digitale n’entraîne une disparition de la presse dite traditionnelle. Des mesures d’anticipation ont-elles été prises par le royaume chérifien ?
Le Maroc a su prendre des mesures idoines. Le code de la presse a réservé, par exemple, un texte à la reconnaissance de la presse électronique. Elle est reconnue depuis 2016 par la loi qui régit le secteur de la presse et de l’édition. Cette reconnaissance tacite de la presse électronique, comme support, est importante. Après cette reconnaissance, elle a été traduite par des lois qui facilitent l’accès à la publicité, à l’information à la subvention publique, à la carte professionnelle à cette presse en ligne. Avant, ce n’était pas le cas. Tout cela s’inscrit dans le cadre de cette dynamique d’ouverture et de modernisation. Nous sommes conscients que les supports papiers ont subi les effets de cette révolution numérique. Il faut un redéploiement de la presse. Les quotidiens marocains sont en train de créer des versions électroniques pour assurer cette transition vers la presse électronique. Ce n’est pas facile, car le mode de consommation est basé sur l’achat en ligne de l’information. Vu l’explosion des canaux d’informations gratuites, il est important d’impulser la réflexion pour avoir une presse de qualité.
Il a été constaté, dans plusieurs pays, que l’avènement de la presse en ligne a entraîné des dérives…
Le Conseil national de la presse, qui est un organe régulateur au Maroc, essaie de veiller au respect des règles de déontologie et d’éthique. C’est un problème sérieux vu qu’il est difficile de contrôler l’explosion de ces nouveaux canaux d’information et d’avoir une information de qualité. Au Maroc, nous avons plus de 1000 sites d’informations reconnus légalement. Ils ne sont pas tous des médias professionnels et ne se conforment pas toujours aux règles édictées. Un grand nombre de médias ont été créés par des jeunes qui croient avoir des compétences pour faire du journalisme. Il y a un impact sur la qualité de l’information. Or c’est une profession avec ses règles, les nouveaux médias travaillent dans un secteur difficile à régulariser, mais le Conseil national composé de représentants de la justice, de professionnels de l’information veille au respect des règles déontologiques. Il a mis en place une charte pour encadrer le secteur, mais l’application pose souvent problème, car des « fake news » sont toujours notés.
Vous dites que le Maroc compte plus de 1000 sites d’informations. Cela dénote-t-il une vitalité de la presse marocaine ?
Comme je l’ai souligné, notre paysage médiatique est très riche. Nous avons, par exemple, une presse partisane. Depuis les indépendances, chaque parti qui est créé, lance son organe de presse. Il y a des journaux de partis de gauche, des partis communistes, partis de droite nationaliste, des journaux indépendants, des journaux arabophones et une douzaine de journaux édités en français. Nous avons une presse qui est diversifiée et qui est représentative de toutes les sensibilités, toutes les tendances, la droite, la bourgeoisie, la gauche…cela reflète le modèle sociétal de ce pays qui est basé sur l’ouverture, la liberté d’expression et les paradigmes utilisés par les pays démocratiques.
On peut donc dire qu’au Maroc, la presse est un baromètre de l’état de la démocratie et de la société ?
Effectivement, la presse est un outil qui permet de mesurer l’ancrage de la démocratie dans un pays. Elle permet relever le débat public, dans tous les aspects et participe à l’enrichissement de l’expérience démocratique. Au Maroc, nous avons la présence d’une presse étrangère qui est très dynamique. Il y a plus d’une centaine de correspondants étrangers qui sont installés chez nous. Dans ce lot, figurent des agences de presse basées dans le royaume et qui jouent un rôle avant-gardiste pour la préservation des acquis démocratiques.
On a aussi remarqué que la presse marocaine s’installe de plus en plus dans les autres pays africains. Qu’est-ce qui l’explique à votre avis ?
Il faut dire que cela s’inscrit dans le cadre de la politique africaine du Maroc. Les médias ont exporté ce modèle de coopération entre le Maroc et les autres pays africains en tenant compte des changements qui s’opèrent dans ces pays et en créant des passerelles. Nous envisageons, dans ce sens, de mettre sur pied un réseau de journalistes africains. C’est un projet sur lequel nous étions en train de travailler avant l’apparition de la Covid. Nous voulons que des journalistes du Sénégal, du Maroc, de la Côte d’Ivoire, entre autres, puissent échanger, créer une synergie d’actions, mais aussi apprendre à mieux connaitre ce pays. Nous partageons des valeurs avec plusieurs pays africains et nous allons accentuer les efforts pour rapprocher le Maroc de ses pays amis.
Quelles sont les perspectives qui s’offrent à la presse selon vous ?
Le journalisme fait face à de nouveaux défis. Je pense qu’il va falloir se repositionner dans un espace caractérisé par l’arrivée de nouvelles sources d’information. La presse, en tant qu’industrie de l’information ne peut pas disparaître. Je dirai même qu’il y a un futur pour la presse et un avenir pour les médias classiques. Ceux qui cherchent l’information sur les tablettes, les smartphones finiront par revenir à la formule classique.
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